"Une hausse de prix de l’électricité est donc inévitable, que ce soit parce qu’on invite des nouvelles industries, qu’on entretient et modernise le réseau, qu’on révise certaines pratiques historiques questionnables, ou qu’on fasse les trois à la fois." (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. La réponse franche de Michael Sabia à une employée d’Hydro-Québec sur l’augmentation du prix de l’électricité a une nouvelle fois déclenché une petite tempête. Bien qu’il n’ait dit qu’une évidence, tous les partis politiques ont questionné le gouvernement à ce sujet, et le premier ministre a cru bon de garantir que les hausses ne dépasseraient jamais l’inflation ou 3%.
La classe politique a une fois de plus semblé défendre la nécessité impérative de ne pas toucher au prix de l’électricité, malgré plusieurs constats sur les besoins du réseau et sur la nécessité de faire une transition énergétique — dans laquelle les électrons seront centraux.
En effet, l’«électrification» est sur toutes les lèvres lorsqu’on pense à cette transition énergétique, au point où le gouvernement a changé le nom du bien connu de Fonds vert pour celui de Fonds d’électrification et de changements climatiques.
Avec une électricité si centrale, ne devrait-on pas avoir un secteur organisé sur des bases saines et robustes?
Les décisions prises devraient être transparentes et indépendantes, et ce, pour résister au temps et au passage des politiciens.
Peut-être que le projet de loi pour encadrer le secteur électrique, que prépare le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, va aller dans ce sens.
Mais récemment, c’est plutôt l’inverse qu’on a vu.
Le gouvernement s’est accordé le droit de décider de l’approvisionnement de toutes les nouvelles demandes de plus de 5 MW, et dans certains cas d’offrir des rabais — jusqu’à 20% sur le tarif L pour les 77 MW de Nouveau Monde Graphite.
Les rabais pour Northvolt et les autres contrats spéciaux à venir ne sont pas encore connus… et ne le seront peut-être jamais si ces informations sont considérées comme confidentielles.
Vendre sous le coût de production
Le problème avec cette approche de vente au rabais afin d’attirer de nouvelles industries, c’est qu’on décide de vendre de l’électricité qu’Hydro-Québec n’a pas encore, à un prix qui sera largement inférieur à ce que cela va coûter pour la produire et la transporter chez les nouveaux clients.
L’électricité au tarif L revient à environ 5¢/kWh, ou 4¢ après le rabais de 20% pour les heureux élus, mais les nouveaux projets éoliens vont coûter beaucoup plus que les 6,4¢/kWh des offres retenues par Hydro-Québec en 2014.
L’inflation touche tout le monde, y compris les promoteurs éoliens et en particulier le prix des turbines: une augmentation de 38% en deux ans.
Les taux d’intérêt élevés augmentent aussi le coût de ces projets. Hydro-Québec parlait de 11 ¢/kWh pour les nouveaux approvisionnements dans son plan stratégique 2022-2026.
Acheter à 11¢ et revendre à 4¢, ce n’est pas un plan d’affaires très prometteur.
Si les nouvelles industries ne paient pas le coût complet de l’électricité, qui va le payer?
Les autres consommateurs!
Ce sera donc une augmentation, mathématiquement inévitable, puisqu’aucune réduction de la demande ne semble être planifiée pour répondre aux nouveaux besoins.
Les autres pressions à la hausse
En plus du coût des nouvelles infrastructures de production (et des ajouts au réseau qui seront nécessaires), les actifs d’Hydro-Québec ont aussi besoin d’entretien.
Plusieurs barrages vont demander des réfections majeures, et tout le monde réclame que le réseau de transport et de distribution soit plus robuste. Il faut qu’il puisse résister aux événements climatiques de plus en plus extrêmes.
Enfin, moderniser le réseau en y ajoutant des technologies dites intelligentes et continuer de mettre des bornes de recharge partout au Québec ne sera pas gratuit.
De toutes parts, Hydro-Québec devra investir et dépenser — ce qui fera augmenter la facture pour les usagers.
L’interfinancement (dont bénéficient les clients résidentiels, au détriment des consommateurs commerciaux et industriels) devrait aussi être revu.
Un ajustement du prix du bloc patrimonial — pour refléter son inestimable valeur — devrait être réalisé si nous voulions vendre notre électricité au prix qu’elle vaut…
Et si nous voulions aussi mettre en place une dynamique qui permet de justifier des projets d’efficacité énergétique sur la base des économies monétaires réalisées.
Une hausse de prix de l’électricité est donc inévitable, que ce soit parce qu’on invite des nouvelles industries, qu’on entretient et modernise le réseau, qu’on révise certaines pratiques historiques questionnables, ou qu’on fasse les trois à la fois.
Écrire des lois pour empêcher ces augmentations ne changera rien à la situation.
Elle ne fera que l’empirer, en empêchant Hydro-Québec de bien financer ses activités pour réaliser sa mission.