Bâtisseur d'une PME, si vous ne voulez pas partir, lisez cela

Publié le 28/05/2020 à 12:00

Bâtisseur d'une PME, si vous ne voulez pas partir, lisez cela

Publié le 28/05/2020 à 12:00

PME famille harmonie

(Illustrations: Karine Lequy et Florence Lemay)

Note : Dans le marché actuel, la plupart des cédants qui procèdent à un transfert d’entreprise sont des hommes. Étant propriétaires d’une entreprise, ils ont un certain rythme de vie qui permet à leur conjointe de ne pas travailler si c’est ce qu’elles désirent. Les archétypes que vous retrouverez dans ce blogue reflètent cette réalité. C’est également pour cette raison que le masculin est utilisé lorsqu’il est question du cédant. Or, cela n’exclut en rien la place des femmes en entrepreneuriat. J’en suis la preuve vivante.


BLOGUE INVITÉ. L’entrepreneur cédant a passé toute sa vie à bâtir son entreprise. Il la connaît sur le bout des doigts. Alors pourquoi fait-il face à autant d’embûches quand vient le moment d’effectuer le transfert à la relève ? La réponse se trouve dans l’identité du bâtisseur.

L’identité de l’entrepreneur est malheureusement, trop souvent, reléguée au second plan. Comme la culture, elle s’avère invisible. On a tendance à l’oublier, même si elle joue un rôle clé dans le quotidien des entreprises familiales.

Une problématique propre aux familles en affaires

En réalité, l’identité de l’entrepreneur cédant crée une problématique propre aux familles en affaires en ce qui a trait au transfert de l’entreprise. Bien souvent, le cédant sous-estime l’importance qu’a l’entreprise familiale à ses yeux. Il voit alors la retraite comme une période heureuse. Il promet à son partenaire de vie temps, plaisir et voyage et il garantit à son repreneur une place bien à lui au sein de l’entreprise. C’est d’ailleurs ce qui arrive à Théo à l’aube de sa retraite.

(Illustrations: Karine Lequy et Florence Lemay)

Or, l’identité de l’entrepreneur ne disparaît pas comme par magie quand arrive la retraite. Après tout, Théo a bâti l’entreprise à son image. Sa personnalité, ses valeurs et sa vision, bref, toute sa personne est investie dans cette entreprise familiale. En faisant des promesses de retraite dorée à sa conjointe, Emma, sans prendre en considération son identité d’entrepreneur — passionné, ambitieux, intuitifs et désireux de relever sans cesse de nouveaux défis —, Théo ne pense qu’à sa liberté bien méritée et oublie qu’une partie importante de son épanouissement est au cœur de la transition. 

Deux identités qui se rencontrent

Le transfert de l’entreprise à la relève engendre d’abord une perte identitaire pour le cédant. Inconsciemment, Théo, en cédant les rennes à sa fille, Audrey, a l’impression de perdre ce qu’il a mis des années à bâtir. Sans son travail, il perd tous ses repères. Ses sentiments d’appartenance, de compétence et d’autonomie sont mis à rude épreuve et plusieurs questions lui viennent en tête. « Comment être quelqu’un sans ma compagnie ? Y a-t-il une vie après le transfert ? »

Cette perte se transforme rapidement en conflit lorsque l’identité du cédant est confrontée à celle du repreneur. L’arrivée de la relève engendre inévitablement une reconfiguration de l’identité du bâtisseur (et, donc, de l’entreprise) en fonction d’une nouvelle identité. Cette reconfiguration s’avère souvent bien difficile : en voulant changer certaines façons de faire, le repreneur peut blesser, inconsciemment, le cédant, qui prendra tout changement comme une atteinte à son identité.

Théo a d’ailleurs bien du mal à reconnaître les nouvelles priorités d’Audrey :

(Illustrations: Karine Lequy et Florence Lemay)

Persuadé qu’Audrey a besoin de lui, Théo est dès lors incapable d’imaginer sa retraite. En cette période de grand changement, Théo a tendance, comme la plupart des gens, à prendre le passé comme point d’ancrage. Comment imaginer un futur sur la plage ou sur un terrain de golf alors que son rôle de leader d’entreprise lui procure une vie trépidante et remplie de défis ?

Puisque Théo a sous-estimé la place de l’entreprise dans sa vie, puisqu’il était persuadé qu’il allait « tripper » à la retraite, il n’a pas pensé à préparer le terrain pour cohabiter avec sa fille au sein de l’entreprise. Et il est maintenant convaincu qu’il n’a d’autres choix que de rester à temps plein dans la compagnie.

(Illustrations: Karine Lequy et Florence Lemay)

Préparer la transition

Afin d’assurer une transition en douceur, le cédant a tout avantage à prendre en considération son identité d’entrepreneur et l’identité de son repreneur. La première étape de tout transfert est donc de s’assurer que le cédant et le repreneur partagent les mêmes valeurs et la même vision de l’entreprise.

Ensuite, il ne faut pas oublier que l’identité s’avère dynamique. Elle se redéfinit sans cesse. Et il n’y a rien de statique dans le processus de transfert : il est toujours en mouvement. Au fil du temps, Audrey assumera de plus en plus de responsabilités et Théo, de plus en plus de liberté. Ils seront donc inévitablement amenés à s’adapter.

Afin de bien gérer cette évolution, il s’avère primordial de planifier des rencontres régulières (aux deux mois, par exemple) pour orchestrer le transfert. Si aucune rencontre n’est prévue pour instaurer un dialogue, pour revoir leur plan, leur vision et leurs valeurs, Théo et Audrey risquent de se piler sur les pieds et d’oublier certaines responsabilités en présumant que l’autre s’en charge.

En mettant sur pied un espace d’échange, Théo et Audrey se donnent la chance de trouver une façon de définir leur rôle afin d’offrir le meilleur d’eux-mêmes.

(Illustrations: Karine Lequy et Florence Lemay)

Bref, donner les rênes de l’entreprise familiale à la relève ne se fait pas en claquant des doigts. L’identité du bâtisseur révèle toutefois un aspect clé à ne pas négliger : bien souvent, les cédants ne veulent pas partir. Ils veulent cohabiter. Le dialogue devient dès lors nécessaire. C’est ce qui permettra à Théo de tenir ses promesses de retraite dorée et c’est ce qui offrira à Audrey une place bien à elle au sein de la famille en affaires.

Un autre membre de la famille joue un rôle clé pour que la dynamique travail/famille fonctionne dans une entreprise familiale : la mère. Dans le prochain billet de blogue, je vous parlerai de cette mère qui est, bien souvent, un vecteur de l’entreprise familiale extraordinaire.

 


*Ce billet est écrit en collaboration avec Roxane de la Sablonnière. 

Roxane de la Sablonnière est professeure titulaire en psychologie à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur les défis auxquels les gens font face lorsqu’ils se trouvent exposés à un changement profond, comme la colonisation qui a affecté les peuples autochtones du Canada, la pandémie de la COVID-19 et le transfert d’entreprise. Elle travaille également auprès d’autres groupes soumis à des changements sociaux profonds, notamment en Mongolie, en Russie, au Kirghizstan et en Afrique du Sud. Ses recherches portent sur les processus associés à l’intégration de nouvelles identités personnelles et collectives au sein du concept de soi.


 

À propos de ce blogue

Sylvie Huard est la fondatrice d’Harmonie Intervention, dont la mission est d’outiller les familles en affaires — qui ont des avantages et des particularités que les autres types d’entreprises n’ont pas — à atteindre la pérennité et l’harmonie à travers le transfert de leur entreprise. Son côté terrain la démarque : eh oui, elle a été cédante et repreneuse en entreprise non apparentée comme en entreprise familiale et elle est membre expert du Groupement des chefs d’entreprises. Avec authenticité, humour et professionnalisme, elle nous transporte dans l’univers passionnant des familles en affaires.

Sylvie Huard

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