Budget: pas de réconciliation de l'économie, de l'énergie et du climat

Publié le 13/03/2024 à 08:15

Budget: pas de réconciliation de l'économie, de l'énergie et du climat

Publié le 13/03/2024 à 08:15

Depuis le début des années 2000, la consommation d’essence fait du sur place à 8-9 milliards de litres par an. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Si l’énergie était aussi peu importante dans notre société qu’elle est peu présente dans le budget 2024, nous n’aurions pas d’enjeu lié à la transition énergétique. Le problème, c’est que l’énergie est centrale dans nos activités, et qu’il y a des questions climatiques fondamentales qui demandent qu’on transforme nos systèmes énergétiques. Or, le budget 2024 déposé par Eric Girard ignore presque totalement les questions énergétiques.

Il y a bien quelques mentions de l’énergie dans le budget, mais il y en a seulement quatre en fait:

  • Une recapitalisation du fonds Capital ressources naturelles et énergie, pour investir 500 millions de dollars supplémentaires dans des projets «structurants»;
  • Un apport de 26 M$ afin de former des travailleurs pour les usines de batteries, notamment pour Northvolt, explicitement mentionné;
  • La fin des subventions aux véhicules électriques pour 2027, avec une diminution progressive des 7 000$ d’aujourd’hui à zéro en 2027;
  • La baisse du dividende d’Hydro-Québec est expliquée par les faibles apports en eaux dans les réservoirs.

 

Dans ce budget, cependant, aucune préoccupation ne transparait en lien avec les dépenses des Québécois pour les produits pétroliers et les véhicules. Deux postes de dépenses qui sont pourtant extrêmement importants, mais qui ne contribuent pas, ou très peu, à la richesse collective.

En effet, tous les carburants et les véhicules – à part quelques autobus et camions lourds construits ici – sont importés.

Une fois sur la route, ils sont sous-utilisés (en restant stationnés 23 heures sur 24) ou contribuent à la congestion, tout en émettant la plus grande part de nos gaz à effet de serre.

 

La consommation d'essence ne diminue pas

Depuis le début des années 2000, la consommation d’essence fait du sur place à 8-9 milliards de litres par an. Celle du diesel tourne autour des 3 milliards de litres.

Le gouvernement a pourtant des objectifs de réduction de 40 % de cette consommation d’ici 2030.

Les dépenses pour des véhicules neufs se chiffrent à plus de 17 milliards de dollars par an depuis 2017.

À ces montants, il faut additionner les milliards dépensés en entretien des véhicules, pour la route, pour les accidents, les pertes de productivité liées à la congestion et les impacts sur la santé.

On parle ici de la qualité de l’air et du manque d’exercice, associé au fait qu’on reste trop assis sur nos sièges d’auto.

Alors que nous visons une grande transition énergétique, nous dépensons des milliards pour nous maintenir dans notre dépendance au pétrole. Aucun levier budgétaire n’est actionné pour accélérer la transition.

Les taxes sur les immatriculations et les carburants sont pourtant respectivement gelées depuis 1992 et 2013, comme l’a souligné le mémoire de l’Alliance Transit dans les consultations prébudgétaires.

Il aurait donc été opportun de lever des revenus sur ces produits, pour réduire le déficit, financer le transport en commun et accélérer la sortie des hydrocarbures.

Les Québécois ne sont pas à court d’argent pour acheter des véhicules.

En 2022, ils ont délaissé comme jamais les voitures, à un coût moyen de 39 000$, pour acheter des camions légers à un coût moyen de plus de 50 000$.

Cet appétit pour des véhicules neufs plus chers, et plus populaires que jamais prouve que plusieurs ménages ont les ressources disponibles à dépenser.

 

On retarde la transition énergétique

Le problème, c’est que ces dépenses n’enrichissent pas le Québec. Au contraire, elles l’appauvrissent en faisant sortir ces sommes de la province.

Pis encore, ces dépenses retardent la transition énergétique en maintenant un système de transport individuel coûteux et inefficace.

Du côté de l’électricité, alors qu’Hydro-Québec diminue son dividende et se lance dans un plan d’action d’ici 2035 impliquant des dizaines de milliards d’investissements, le budget reste coi sur notre surconsommation d’électricité.

Un potentiel d’efficacité énergétique de 24 TWh est identifié par Hydro-Québec, incluant 0,7 TWh dans les piscines et spas des résidences du Québec.

Mais on continue de subventionner les clients résidentiels, par l’interfinancement provenant essentiellement des PME du Québec.

Dans notre transition énergétique, où est la logique budgétaire de subventionner la consommation résidentielle quand celle-ci pourrait être plus efficace?

Le budget 2024 enfonce le Québec dans une dette de 221G$, qui nous coûte plus de 9 G$ de frais d’intérêt par année.

Il ne met pas le Québec sur une trajectoire transformatrice en matière d’énergie, alors que nous dépensons trop pour des énergies que nous visons à moins consommer.

Des orientations budgétaires génératrices de richesse et d’améliorations environnementales sont accessibles.

Elles demandent du courage politique et une vision.

Espérons qu’en 2025 le gouvernement sera enfin en mesure d’aligner les discours économique, énergétique et climatique.

 

À propos de ce blogue

Pierre-Olivier Pineau est professeur à HEC Montréal, où il est responsable de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Il cherche à contribuer à la transformation du secteur de l’énergie pour le mettre sur une trajectoire durable, qui allie prospérité, équité et respect des écosystèmes. Il a publié de nombreux articles universitaires et co-rédige chaque année l’État de l’énergie au Québec depuis 2015. Il vient de publier son premier livre, «L'équilibre énergétique».

Pierre-Olivier Pineau
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