L'étude exploratoire a été conduite auprès d'une quarantaine de Montréalaises et Montréalais. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Depuis 2000, le taux de croissance du parc automobile est plus rapide que celui de la population du Québec. Ironique quand on sait que réduire la dépendance à l’auto solo est l’une des principales voies à emprunter pour mener le Québec vers la carboneutralité en 2050. Or, le gouvernement du Québec n’en fait pas assez dans ce dossier, soulignait en juin dernier un rapport de l’Institut de l’énergie Trottier, et devrait «déployer des mesures plus agressives pour diminuer l’auto solo».
Pour aider à mieux cibler les interventions et réduire la dépendance de la société québécoise à la voiture et aux déplacements solos, le Chantier auto-solo, une table transdisciplinaire qui regroupe à la fois des chercheurs et des acteurs terrain de l’écosystème de la mobilité, s’est penché sur les déterminants de l’attachement des Montréalais à la voiture. Trois profils ressortent d’une première recherche exploratoire dirigée par Anne-Sophie Gousse-Lessard, chercheuse en psychologie sociale et environnementale, professeure associée à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal et membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique. Entrevue.
Quel est l’apport de la psychologie sociale et environnementale au Chantier auto-solo?
La psychologie peut venir expliquer certaines choses que les études plus «traditionnelles» en mobilité ne peuvent pas expliquer, elle est complémentaire aux approches de l’ingénierie, de l’urbanisme, etc. Les enjeux de mobilité ne sont pas que psychologiques et ils ne sont pas que structurels non plus. Comme pour l’étude de n’importe quel enjeu environnemental, une perspective plus écosystémique est intéressante: on regarde à la fois les individus, les barrières sociales, l’environnement physique, les services et les politiques. Donc, ce n’est pas parce qu’on bâtit des infrastructures que nécessairement les gens vont les utiliser ou que ça va devenir une préférence. La volonté ou les préférences, c’est davantage d’ordre psychologique. Il y a des moments où l’architecture de choix, les services et les infrastructures ne sont pas là. Les attitudes, les croyances, toutes les variables psychologiques ont alors peu d’importance dans les comportements, car il n’y a pas d’offre. Dans ces cas, ça crée une dépendance structurelle, tu es obligé d’avoir une auto.
Dans les secteurs où les gens ont le choix, c’est intéressant de voir ce qui fait que parmi deux familles qui ont le même profil sociodémographique, qui vont travailler à la même place, qui ont des enfants du même âge, etc., une possède deux autos et l’autre s’organise sans. C’est là que certaines variables psychologiques permettent d’expliquer les différences. La psychologie est aussi utile pour l’intervention: si on sait les barrières psychologiques de notre population, nous pouvons monter des campagnes de communication, de sensibilisation et d’éducation qui vont être beaucoup plus efficaces, contrairement à si on s’intéresse seulement à l’environnement physique ou aux services.
Quel est votre rôle au sein du Chantier auto-solo?
J’ai mené une recherche pour la Commission sur les transports et les travaux publics de la Ville de Montréal en 2019. J’avais pour mandat de mener des groupes de discussion avec des citoyens de Montréal. Catherine Morency, professeure à Polytechnique, et son équipe avaient le mandat de faire un sondage. Nous avons donc des données qualitatives et quantitatives. Nous avons mesuré les attitudes, les croyances, les normes sociales, etc. à propos de la mobilité et de l’automobile. C’était une étude exploratoire — nous avons eu seulement une quarantaine de participants —, mais nos résultats sont en adéquation avec ceux d’autres études menées à l’international sur le même sujet.
Nous allons répliquer le tout avec 300-400 personnes afin de valider les profils psychographiques qui sont ressortis et en trouver d’autres. La segmentation psychographique est une méthode qui consiste à segmenter une population grâce à des analyses statistiques à partir de variables comme les attitudes, les perceptions, etc., et qui va au-delà d’une segmentation sociodémographique. Par exemple, la préoccupation pour l’environnement, ça peut être pour certaines personnes une variable explicative des choix de mobilité et pour d’autres, ça ne le sera pas. Les conflits entre les buts de vie peuvent devenir un prédicteur des comportements, tout comme le degré d’attachement psychologique à l’auto.
Comment les profils psychographiques et vos résultats en général renseignent-ils les décideurs dans ce contexte?
En faisant ressortir les caractéristiques de ces segments — Qui en fait partie? Que pensent-ils? Quels sont les leviers pour les faire changer de comportements? — nous avons, par exemple, la possibilité de prédire et d’identifier ceux qui sont très attachés à l’auto, mais qui, structurellement, auraient un potentiel de changement. Ça nous permet de faire des interventions ciblées.
Vu que cette première étude était exploratoire, nous n’avons pas fait de recommandations, mais nous avons relevé plusieurs constats et fait des propositions. Par exemple, nous avons souligné l’importance de tenir compte des aspects psychologiques de la mobilité, d’intégrer les enjeux d’inégalités en mobilité et de développer des solutions adaptées aux styles de vie. La Commission sur les transports et les travaux publics, à partir de l’ensemble de nos résultats, a planché sur quelques recommandations, comme celle de mettre en œuvre un plan de communication audacieux pour susciter le changement chez la population montréalaise, et les a présentées au conseil exécutif de Ville de Montréal. Ça a aussi été une base de réflexion pour le prochain Plan d’urbanisme et de mobilité (PUM) qui est en développement en ce moment.
Quels sont les profils qui ont émergé de votre étude?
Il y en a trois, mais l’échantillon était petit et pas représentatif de la population de Montréal. L’analyse qualitative nous a montré qu’il y aurait peut-être 4-5 profils et nous pourrons vérifier cela dans la prochaine phase de l’étude.
Il y a les «autodépendants» (29,5%) qui ne veulent pas changer ou ne voient pas l’importance de le faire et qui sont dépendants psychologiquement. Une sous-catégorie dans ce segment disait «Oui, l’environnement, c’est important pour moi, je me sens coupable d’utiliser mon auto», mais il n’y a rien autour d’eux pour les inciter à changer leur habitude. Dans ce cas, ça n’a rien à voir avec la dépendance psychologique. C’est plus structurel, du moins en ce qui a trait à la perception des options existantes autour d’eux.
Un autre groupe est celui des «mutlimodaux» (38,6%). Ils possèdent une auto, mais utilisent plusieurs modes de transport au quotidien. Ils adoptent une perspective coût-bénéfice pour choisir leur mode de transport selon leur destination. Ils sont moins dans l’affectivité et ont une vision plus utilitaire.
Enfin, il y a les «convaincus» (31,8%), parmi lesquels certains ont une auto qu’ils utilisent à l’occasion seulement. Il y avait beaucoup de cyclistes dans ce groupe. Fait intéressant, chez les cyclistes, nous trouvions les mêmes composantes affectives, identitaires et liées à la liberté que chez les automobilistes fortement attachés à leur véhicule: plusieurs cyclistes ne l’étaient pas nécessairement pour des raisons environnementales.