La zone DistriQ, basée à Sherbrooke, vise à faire le pont entre les travaux des chercheurs et les applications commerciales. (Photo: 123RF)
INNOVATION. Le Québec fait partie des meneurs mondiaux dans l’industrie quantique, et pour maintenir sa position, la province compte sur le développement des compétences de ses chercheurs et des entreprises qui se trouvent ici.
Même si des investissements importants sont attendus au cours des prochaines années pour cette technologie de rupture qui n’est pas encore à point, l’argent se fera plus rare qu’ailleurs. La Chine aurait alloué plus de 15 milliards de dollars américains (G$ US) pour cette industrie qui promet de révolutionner l’informatique, les communications, la fabrication de matériau, la conception de médicaments et une foule d’autres domaines, selon la firme de consultation McKinsey & Company. Le Canada occupe une place respectable avec environ 1 G$ US en investissement depuis dix ans. Au pays, les régions de Waterloo, en Ontario, et de Sherbrooke, au Québec, se partagent la majeure partie du gâteau.
Dans cette course pour développer les outils de demain, le Québec mise donc sur les ressources humaines et une collaboration étroite des acteurs afin de conserver son avantage concurrentiel généré par les chercheurs de l’Université de Sherbrooke. C’est dans cette région qu’a été créée l’an dernier la zone d’innovation quantique DistriQ, qui a pour objectif de faire le pont entre la recherche et les applications commerciales.
« Notre priorité, c’est de livrer des infrastructures pour permettre aux entreprises de démarrer ou de prendre de l’accélération, affirme en entrevue Martin Enaut, directeur général par intérim de DistriQ. On veut attirer des joueurs internationaux pour que le Québec soit un pôle. »
Des installations de pointe
Parmi les avantages dont jouit le Québec, il y a l’ordinateur quantique Quantum System One, d’IBM, de Bromont, le seul au pays et un des rares dans le monde. Son accès est géré par la Plateforme d’innovation numérique et quantique du Québec (PINQ²)
« Cela nous donne un rayonnement national et international. On devient plus attractif », note Gael Humbert, associé-fondateur et responsable du développement des affaires, des partenariats et de la stratégie de PINQ².
« Avoir une plateforme quantique disponible pour les entreprises et les universités, c’est rare, ajoute-t-il. On reçoit beaucoup de questions d’Europe et même du Japon et de la Corée du Sud. »
Un second atout de la zone d’innovation est l’Espace quantique 1 et son laboratoire de développement des technologies quantiques à Sherbrooke, qui a été annoncé à la fin novembre et qui ouvrira ses portes l’an prochain. Il contiendra notamment des laboratoires cryogéniques avec cinq réfrigérateurs à dilution ainsi qu’un laboratoire optique quantique.
Des locaux sont prévus pour accueillir des organisations. L’entreprise française Pasqal, qui fabrique des ordinateurs quantiques, s’y installera, tout comme Nord quantique, SBQuantum et bien d’autres.
Ce lieu sera aussi connecté au banc d’essai en communication quantique par fibre optique de l’OSBL Numana, qui vise à tester la transmission de données en vue d’un futur Internet complètement sécurisé.
« On veut attirer des partenaires étrangers, déclare le PDG de Numana, François Borelli. La stratégie, c’est “venez jouer chez nous et on va vous faire découvrir ce qu’on fait au Québec”. »
Inspirer une culture entrepreneuriale
L’Institut quantique de l’Université de Sherbrooke est un autre pilier de l’écosystème. Il regroupe 39 chercheurs de cet établissement pionnier dans le domaine au Québec.
« On désire augmenter la masse critique de chercheurs dans le domaine, souligne Christian Sarra-Bournet, directeur exécutif de l’Institut. On a doublé le nombre d’étudiants. »
Former des chercheurs qui feront progresser la science n’est pas tout. Les autorités souhaitent traduire ces innovations en projets commerciaux.
« On veut inspirer une culture d’entrepreneuriat », ajoute celui qui est aussi le directeur de la stratégie quantique de l’Université de Sherbrooke.
La fondation, en septembre dernier, de QV Studio, a été faite dans cette optique. Cet OSBL est un « venture studio » qui a pour but de travailler avec des chercheurs pour les aider à créer leur entreprise.
« Évaluer le potentiel commercial n’est pas dans l’ADN des chercheurs en physique quantique, remarque Sarah Jenna, directrice de QV Studio. On a un rôle d’éducation auprès des chercheurs pour les convaincre de sortir leur innovation de l’université en montant une start-up. »
Dans le cadre de son programme d’accompagnement, QV Studio travaille main dans la main avec Quantacet, le premier et seul fonds de capital de risque en quantique du Québec, et le fonds français Quantonation. Au moins deux jeunes pousses québécoises seront financées pour cette première cohorte.
« Notre fonds, c’est une pièce du puzzle pour mettre en place un écosystème complet allant de la recherche jusqu’à la commercialisation en passant par l’investissement, soutient Martin Laforest, associé chez Quantacet. Un de nos objectifs, c’est d’aider les start-ups à se positionner pour leur ronde de financement de série A et B. »
La participation de Québec inc.
Pour que l’industrie quantique québécoise se démarque, il faudra aussi convaincre les grandes entreprises de la province d’embarquer dans le train. Bell participe au projet de Numana, mais d’autres, comme des minières, auraient intérêt à se pencher sur ces technologies, selon Olivier Gagnon-Gordillo, directeur de Québec quantique. « Cela prend un effort d’éducation pour que les entreprises comprennent la valeur du quantique pour leur modèle d’affaires, croit-il. Pour réaliser des projets d’adoption, il y du financement qui existe à l’échelle fédérale. »
Par sa nature transversale, l’industrie quantique peut s’arrimer à d’autres domaines de pointe où le Québec se distingue, notamment l’intelligence artificielle, la microélectronique et la photonique. Il faudra non seulement des spécialistes de la physique quantique, mais aussi d’autres domaines, que ce soit en programmation, en ingénierie et même en administration. Le développement et l’attraction des talents sont donc vitaux.
« Les possibilités en quantique sont si grandes que j’en perds mon latin, affirme Christian Sarra-Bournet. On ouvre un nouveau marché au complet. Des choses qu’on ne peut pas faire pour le moment et d’autres qu’on n’arrive pas encore à imaginer. On est au-delà de l’innovation. »
Dans ce Far West, les acteurs de l’industrie sont unanimes pour dire que les stratégies déployées pour bâtir l’écosystème sont les bonnes jusqu’à maintenant, grâce notamment au fort appui du gouvernement du Québec.
Cet article a initialement été publié dans l'édition papier du journal Les Affaires du 13 décembre 2023.
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