D.B. - Vers quoi s'en va cette relation ?
M.G. - Elle est en train de redéfinir la notion de travail. Réalisez-vous que nous travaillons plus et non moins à cause de l'omniprésence de la technologie ? On arrive de moins en moins à établir une frontière entre notre temps de travail et notre temps libre. Et nous n'assistons qu'aux balbutiements de cette révolution.
D.B. - Qu'est-ce que la technologie nous apporte ?
M.G. - Voilà une question que je ne me suis jamais posée. [Silence.] Je dirais que la technologie est neutre. Elle n'est ni bonne ni mauvaise. Chaque nouvelle technologie ou invention nous apporte et nous enlève quelque chose. On ne s'en sort pas. Socrate ne disait-il pas que les livres constituaient la pire des inventions, parce qu'ils atrophieraient nos mémoires ? Faisons le parallèle avec nos téléphones intelligents et outils électroniques. Ne leur avons-nous pas «sous-traité» notre mémoire ? Ce que l'on sait n'a plus d'importance tant que l'on arrive à se souvenir où nous avons entreposé l'information...
D.B. - Vous avez cessé votre collaboration au site Huffington Post en affirmant que «nous sommes devenus des paysans de l'ère numérique». Que voulez-vous dire ?
M.G. - Le titre de mon blogue était : «Je ne travaillerai plus à la ferme d'Arianna [Huffington]». Je trouve que notre siècle a des airs de Moyen Âge. À l'époque, le fruit du travail des paysans permettait aux seigneurs de vivre grassement. Aujourd'hui, le fruit du travail, «bénévole», des chroniqueurs permet aux sites des entreprises de presse de faire leurs frais. Quelle différence avec le Moyen Âge ? Le paysan en tirait une terre pour survivre. Le chroniqueur en tire de la visibilité. Mais ce sont les seigneurs médiévaux et les propriétaires des sites d'information qui retirent les bénéfices. Paysans d'hier ou paysans d'aujourd'hui, je ne vois aucune différence.
D.B. - Les paysans du numérique vont-ils se révolter ?
M.G. - Peut-être pas, ce modèle économique peut subsister. Il est possible que nous continuions à produire des contenus gratuitement. Des tensions subsisteront, mais les tensions ne sont pas toujours négatives. Celles-ci peuvent devenir source de création. Il est aussi possible que nous amorcions une transition vers un système où nous inventerons une monnaie alternative appropriée aux contributions à l'ère numérique. Une monnaie n'est rien d'autre que de l'information à laquelle tout le monde attribue la même valeur.