En dévoilant sa très attendue «liste d’épicerie» électorale, le dirigeant québécois y est allé à fond de train sur la voie nationaliste. (Photo: La Presse canadienne)
BLOGUE INVITÉ. «What does Québec want?» François Legault a offert jeudi un nouvel éclairage sur cette question qui tiraille Ottawa et le reste du Canada depuis tant de décennies. Ce que le Québec veut, selon lui, c’est plus d’autonomie.
Que ce soit en matière d’immigration, de santé ou de petite enfance, le message du premier ministre québécois aux chefs fédéraux était on ne peut plus limpide : laissez les provinces décider pour elles-mêmes et pour le bien de leur population.
En dévoilant sa très attendue « liste d’épicerie » électorale, le dirigeant québécois y est allé à fond de train sur la voie nationaliste, écorchant au passage les «deux partis centralisateurs» que sont à ses yeux le PLC et le NPD.
Une critique dont Justin Trudeau, qui espérait initialement faire des gains au Québec, se serait sans doute bien passé alors qu’il traverse un début de campagne plus difficile qu’il ne s’y attendait.
Cette pique à mots à peine couverts était aussi une véritable « passe sur la palette » au chef conservateur Erin O’Toole, qui cherche justement à séduire l’électorat caquiste à l’extérieur de la grande région de la Capitale-Nationale, où son parti semble cantonné depuis des années.
Les caquistes courtisés de toutes parts
Alors qu’au niveau provincial, la CAQ se maintient aisément en tête des intentions de vote, récoltant l’appui de près de la moitié de la population québécoise, ses électeurs représentent une manne importante qui peut faire toute la différence pour les principaux partis fédéraux au Québec.
Du côté conservateur, Erin O’Toole présentait récemment son «contrat avec les Québécois» où il s’engageait, en neuf promesses, à gouverner selon un modèle de «fédéralisme de partenariat», une formule qui n’est pas sans rappeler la doctrine en vigueur sous Stephen Harper.
S’il y aborde des sujets traditionnellement chers aux conservateurs – gel des taxes et des impôts, respect des champs de compétence des provinces, laïcité de l’État, etc. – le chef de l’opposition officielle a aussi multiplié depuis le début de cette campagne les prises de position sur des enjeux qu’on avait moins l’habitude d’entendre de la part d’un dirigeant conservateur, comme l’avortement, l’homosexualité, la santé mentale et même l’environnement.
La surprise O’Toole
Vétéran de l’armée, Erin O’Toole est issu de la branche progressiste-conservatrice de l’Ontario, plus au centre sur les questions sociales. Déjà là, son passé contraste avec celui de ses prédécesseurs.
Depuis son arrivée à la tête du PCC, il tente d’opérer une cure de rajeunissement à son parti, quitte à risquer de perdre quelques votes dans l’Ouest. Un positionnement qui semble porter fruit si l’on se fie aux plus récents sondages qui laissent entrevoir une légère remontée des conservateurs sur les libéraux.
Le grand défi d’Erin O’Toole sera d’éviter de plafonner trop vite et de maintenir ces nouveaux appuis jusqu’au 20 septembre, tandis qu’il deviendra rapidement la cible de toutes les attaques au fur et à mesure que son avance se confirmera.
En 2019, la question du respect du libre choix des femmes était venue complètement faire dérailler la campagne d’Andrew Scheer.
Cette fois-ci, pas de controverse possible; la position d’Erin O’Toole sur le sujet est on ne peut plus claire. Ça n’a quand même pas empêché les libéraux de tenter de faire trébucher leur adversaire conservateur sur cet aspect alors qu’ils connaissaient eux-mêmes un faux départ dû à une série de cafouillages, la semaine dernière.
«Je suis pro-choix et j’ai toujours été pro-choix», a simplement rétorqué O’Toole, sans tergiverser. Le débat était aussitôt clos, merci bonsoir. Au grand dam de l’équipe Trudeau, qui venait ainsi de gaspiller une carte potentiellement stratégique beaucoup trop tôt dans cette campagne.
Étant encore peu connu des Québécois, Erin O’Toole a néanmoins du pain sur la planche s’il veut convaincre les électeurs de la province.
À ce niveau, sa performance aux débats des chefs en français, dont le premier aura lieu jeudi prochain sur les ondes de TVA, sera déterminante pour les conservateurs au Québec.
Dualité linguistique oblige, son français parfois boiteux risque d’être son principal handicap face à Justin Trudeau et Yves-François Blanchet, plus à l’aise dans la langue de Miron.
Bloc-PQ: divorce à venir?
Le chef bloquiste, qui espère pour sa part décrocher 8 sièges supplémentaires le 20 septembre, fait lui aussi de beaux yeux aux électeurs caquistes.
Le jeu des rapprochements avec la CAQ est déjà bien commencé, alors qu’Yves-François Blanchet annonçait cette semaine un changement de cap à 180 degrés en appuyant la construction du troisième lien Québec-Lévis, un projet phare du gouvernement Legault auquel il s’était jusqu’ici bien gardé de donner sa bénédiction.
Une nouvelle orientation qui, en plus de ne pas faire l’unanimité dans ses propres rangs, place le Bloc en porte-à-faux avec son «grand frère», le Parti québécois, qui est contre le projet de tunnel autoroutier.
Pour la seconde fois depuis 2019, les bloquistes ont également fait le choix stratégique de mettre l’indépendance en veilleuse, le temps de la campagne électorale. Ils axeront donc principalement leur programme autour de la défense des intérêts et des valeurs du Québec, un discours fait sur mesure pour charmer le vote caquiste.
Le Bloc n’en demeure pas moins un parti souverainiste depuis sa fondation au début des années 1990.
La cause indépendantiste est inscrite noir sur blanc dans sa constitution, le condamnant par le fait même à rester éternellement sur les banquettes de l’opposition, sans jamais pouvoir réaliser ses promesses électorales.
Mais avec un Parti québécois sous les 15% d’intentions de vote et une option souverainiste qui bat de l’aile, la formation fédérale n’aura d’autre choix que de diversifier ses appuis si elle veut espérer pouvoir atteindre son objectif de remporter 40 circonscriptions cet automne.
Après plus de 30 ans d’union, serait-ce la fin du mariage Bloc-PQ?
L’autonomisme en action
Les demandes présentées par François Legault cette semaine s’inscrivent en droite ligne dans la vision autonomiste que la CAQ a officiellement reprise de la défunte ADQ. Petit à petit, sans tambour ni trompette, le Québec s’affirme et réalise des gains au sein de l’ensemble canadien.
Fort de son important appui dans la population, celui qui est considéré comme le premier ministre provincial le plus populaire au Canada a les coudées franches et toute la marge de manœuvre nécessaire pour se permettre d’exiger des engagements ambitieux de la part des leaders fédéraux.
François Legault en est bien conscient et compte à l’évidence capitaliser là-dessus pour faire avancer certains dossiers prioritaires pour son gouvernement.
La question des transferts fédéraux en santé sera particulièrement intéressante à surveiller.
À l’heure actuelle, libéraux et néo-démocrates souhaitent imposer aux provinces des normes à respecter, notamment pour les soins en CHSLD, une forme d’ingérence que Québec rejette catégoriquement.
Si Justin Trudeau venait à être réélu, l’affrontement avec le gouvernement Legault serait inévitable sur cet enjeu.
S’il n’en tenait qu’à François Legault, cette hausse devra se faire sans condition pour le Québec, à l’image de l’entente de 6 milliards de dollars (G$) intervenue juste avant les élections dans le dossier des CPE.
Un accord qui démontre d’ailleurs très bien que le premier ministre caquiste sait saisir les occasions pour faire avancer son agenda autonomiste. Gageons qu’il n’hésitera pas à activer tous les leviers à sa disposition pour parvenir tout autant à tirer son épingle du jeu en santé.
Avec plus de 20 ans d’engagement politique derrière la cravate, François Legault est un vieux routier qui connaît bien les Québécois et leurs attentes face à Ottawa.
Les chefs fédéraux ont donc tout intérêt à tendre l’oreille et à répondre favorablement aux demandes du premier ministre québécois s’ils veulent s’attirer le vote nationaliste.
Ce que Québec veut… Ottawa le voudra-t-il?