Le rêve africain... pour qui?

Publié le 11/02/2015 à 09:13

Le rêve africain... pour qui?

Publié le 11/02/2015 à 09:13

Le rêve africain tambourine désormais sur un nombre croissant de prestigieuses et combien sérieuses tribunes internationales : Toronto, Genève, Tokyo, New York, Londres, Berlin et surtout... Shanghai. Toutes les mises en scène (« casting ») se sont approprié le jeu célèbre du « À qui le tour de s'enrichir ». Bref, l'avenir de l'Afrique relève du scénario « start-up continental »… comme si le continent dit Berceau de l'Humanité, en était à ses premières colonisations.

Économistes, financiers, et toutes bonnes volontés regroupées avaient bien prédit la montée effervescente d'une classe moyenne qui, il est vrai, atteint aujourd'hui le seuil des 34 %, en route vers les 45% d'ici le prochain quart de siècle, selon la Banque Africaine de Développement (BAD). En 2014, 370 millions d'Africains du nord au Sud revendiquaient le statut de classe moyenne défini notamment par l'indice de richesse africaine qui classe les revenus entre 2 et 20 dollars par jour, selon que vous soyez salariés ou entrepreneurs. Le FMI y va aussi de sa prospective avec une croissance continentale pondérée autour de 6 % par an, attribuable notamment à l'augmentation des investissements dans les ressources naturelles et les infrastructures. Qui dit classe moyenne, en Afrique, répertorie téléphone cellulaire, téléviseur, réfrigérateur, électricité et eau potable, notamment. 

Cette classe moyenne, issue principalement du secteur privé est réputée robuste (« là pour rester »), toujours selon la BAD et se répartit ainsi: Afrique du Nord, 77 % des salariés et entrepreneurs; Afrique Centrale avec 36% et Afrique de l'Ouest avec 34 %. L'Afrique de l'Est peine avec 25 %.

 1. LES NOUVEAUX MAÎTRES DE L'AFRIQUE

Le rêve africain se décline, depuis près de deux décennies, selon le calendrier de l'Empire du Milieu, aussi dit Céleste. On lui concède le boulier compteur du miracle économique de la Nouvelle Afrique. Les géostratèges chinois lui ont même consacré, en 2013, un Livre Blanc, tout blanc, qui revendique le progrès africain des deux dernières décennies et annonce le Plan souhaitable et... souhaité pour l'Afrique. En un mot, microéconomie et développement des communautés seront au cœur de la Renaissance africaine entonnée par le « Chœur des Griots bridés », pour paraphraser un vieux sage malien.

Les chiffres témoignent de l'hyperactivité sino-africaine: les échanges commerciaux ont explosé depuis les 10 milliards $ en 2000 jusqu'aux 200 milliards en 2013. La balance commerciale favorise l'Afrique exportatrice avec un solde positif de 113 milliards, les ressources naturelles non transformées accaparant la grande proportion du bilan.

En contrepartie, la Chine exporte des produits manufacturés à haute valeur ajoutée... Les rapprochements ne sont pas que commerciaux et industriels. À titre d'exemple, L'African Talent Program prévoyait, pour la période 2013-15, la formation de plus de 30,000 professionnels africains dans les secteurs porteurs de l'agroéconomie, de l'électronique, de la santé, de la maintenance industrielle, entre autres secteurs. Aux 18,000 bourses d'études universitaires graduées, s'ajoute la mise en place de laboratoires et de centres de formation technique et professionnelle. De la procréation « assistée » de faunes aquatiques à la formation de journalistes et à la prolifération d'installations sanitaires, le Nouvel Eldorado est dorloté. On conseille même certains pays « sur des politiques et programmes de contrôle des naissances » pour endiguer l'explosion démographique et ainsi accélérer la croissance…Le Sénégal, pour ne retenir qu'un seul témoignage, s'en réjouit déjà...

2. LES AXES STRATÉGIQUES PRIVILÉGIÉS

Le contexte géostratégique des 20 dernières années a banalisé la prétention civilisatrice américaine et égrainé l'influence européenne, notamment française, dans l'espace économique et social africain. Les « Tigres africains » sont à l'heure du thé chinois et s'en réjouissent..la Nouvelle Afrique est éprise de la rhétorique économique de l'Orient et les fantômes du passé, notamment cette chère « mère patrie » des Africains francophones devra dorénavant passer par Pékin si elle veut continuer à brasser de « vraies affaires » en Afrique. Pour preuve, la main récemment tendue, fin janvier, du Premier Ministre Chinois, Li Keqiang à son homologue français: « La Chine serait heureuse d'engager la France à ses côtés pour promouvoir des projets structurants, comme le nucléaire, l'aéronautique, le transport ferroviaire et routier... ».

Le message a le mérite d'être très clair! Il serait aussi bénéfique pour la France. Notre collègue du Magazine LE POINT, Caroline Puel résume bien la stratégie de l'Empire plus Céleste que jamais: « une exhortation de la Chine envers la France à trouver une solution au déficit commercial qu'enregistre la France à l'égard de la Chine...un déficit de l'ordre de 25 milliards $ qui embarrasse Pékin ».

Le Président chinois en a rajouté, en appui à son premier ministre, en soulignant que « pendant que tout le monde fixait la Chine au cours du dernier quart de siècle, la Chine s'intéressait déjà à cette « opportunité historique », orpheline de ses colonisateurs traditionnels, écorchée par les évitements à participer du progrès occidental et muselée par des élites politiques trop souvent kleptocrates, corrompues jusqu'à la moelle et trop souvent sanguinaires. 

Au-delà des enjeux commerciaux, il y a aussi le progrès social. La Chine, bonne samaritaine, y va de sa prodigalité pour assurer la mise en service d'installations de toutes sortes, hôpitaux, dispensaires, écoles et autres initiatives destinées à améliorer la qualité de vie des Africains. En échange, quelques rives fertiles, nouveaux potagers de la Chine gourmande, et sous-sols miniers pour approvisionner ses usines! Les cercles Confucius comblent aussi le déficit intellectuel envers la Chine méconnue et combien estimable!

3. LES VRAIES AFFAIRES

« La Chine s'allie à la Banque Africaine de Développement pour une approche multilatérale de l'investissement en Afrique ». A lui seul, le titre est prophétique ! 

Aux traditionnels accords bilatéraux garants d'une diplomatie économique engagée, il est temps de superposer une approche multilatérale axée sur les investissements stratégiques dans les secteurs porteurs. La BAD et Pékin y sont même allés d'un Fonds initial de 2 milliards $ pour annoncer, au printemps 2013, leurs fiançailles au sein du « Africa Growing Together Fund ». Ce Fonds institué est forcément prédicateur d'un étalement bientôt intensif. Après tout, pendant que l'Europe et l'Amérique s'agitent désespérément et à grands frais autour des enjeux de sécurité et des casernes, il faut bien que quelqu'un s'occupe des vraies affaires!

Qui dit fiançailles, pensent spontanément aux rencontres festives.

L'Afrique -qui-marche a aussi son Davos. À cet effet, Genève accueillera, encore une autre fois, à la mi-mars, le rituel international d'hommages et d'échanges entre leaders politiques, décideurs et dirigeants industriels et économiques de l'Afrique et du monde industrialisé, cela va de soi! Pèlerinage qui absout pendant quelques jours les inerties que posent les épidémies, guerres tribales, fluctuations des cours du coton, du pétrole et de tout ce qui brille sous la terre.

Aussi, carrefour des nouvelles fortunes africaines engraissées par des spéculations boursières à Londres, Francfort, Toronto, New York... pendant que des banques étrangères s'accaparent les énormes liquidités des épargnants africains.

Morale de l'Histoire:

Les véritables contours de la Nouvelle Afrique, pour son grand bien, espérons-le, seront assurément dessinés à l'encre de Chine reconnue pour ses caractéristiques indélébiles. On peut ainsi se rassurer à l'idée que le nouvel et sincère ami nous sera fidèle pour longtemps! Enfin!