Le PDG d'Hydralab, Francis Nadeau. (Photo: courtoisie)
BLOGUE. Cette start-up de Québec fournit des solutions sur mesure pour la nouvelle mue numérique des entreprises.
Cette start-up de Québec aborde de façon très pratique le phénomène de la chaîne de blocs: elle sculpte des réseaux sur mesure pour que les entreprises parent aux besoins réels de leur constante mue numérique. Discussion avec son patron, Francis Nadeau.
Laissez-moi vous conter l’histoire d’Hydralab, une jeune et discrète entreprise québécoise pourtant active dans le domaine techno le plus tendance du moment. Son cofondateur, ancien analyste de produits chez Coveo, a décidé de quitter son employeur pour s’y consacrer en août 2017. Un changement de carrière imposé par la tournure des événements. «Avec le Fintechlab, nous avons regardé vers où se dirigeait la fintech en général et on s’est rendu compte que dans la majorité des niches, un réseau blockchain allait revenir», se souvient Francis Nadeau, actuel patron d’Hydralab.
Aussi simple que ça! Tout comme certains se sont lancés dans la création de sites internet avant les années 2000, Francis et son équipe créent depuis des plateformes blockchain pour d’autres entreprises. Une activité plus facile à présenter qu’à mener à bien.
Apparition de l’Hydre
Le premier enjeu consistait à trouver la formule pour construire de bonnes applications, établir les prérequis . «Comme ne pas avoir besoin de token, avoir la possibilité de catégoriser des blockchains en entreprise, d’obtenir des métriques. Il ne suffisait pas de mettre sur pieds un réseau mais de le fournir avec tout ce qui doit venir autour», explique-t-il.
Impossible alors de trouver une blockchain clé en main, avec interface programmable, pour une expérience utilisateur intuitive. La PME a donc élaboré le Hydra Network, un réseau utilisant un protocole IPFS, sorte de HTP pour le pair à pair, qui présente plusieurs avantages notamment «la possibilité stocker des documents complets, de recourir au versioning , de ne pas être limité à 1048 caractères sur Ethereum», énumère le PDG, en prenant soin de donner le crédit à son actuel cofondateur et directeur des technologies, Frederick Fournel, «le cerveau derrière tout ça».
Approche terre à terre
À entendre Francis Nadeau, il y a énormément de potentiel dans de nombreuses industries telles que les assurances ou les applications complètement distribuées, mais il constate surtout que les progrès les plus rapides apparaissent au niveau des chaînes d’approvisionnement.
Cependant, il doit avouer que bien souvent, quand il se penche sur le projet de clients, il se retrouve face à une franche volonté d’aller vers la blockchain «sans que les gens ne comprennent vraiment ce que c’est. On va alors tenter de ramener ces gens un petit peu sur terre.»
Pour le moment, Hydralab mène surtout des analyses de faisabilité et concentre ses activités sur la phase exploratoire . «On développe une preuve de concept mais les projets en production, il n’y en a pas beaucoup, reconnaît son président en insistant sur la transparence, le marché reste assez jeune».
Service privé
Cela étant dit, ce marché réserve à l’entreprise québécoise un accueil excellent. La start-up se fait naturellement «challenger à gauche et à droite» mais parviendrait à réagir adéquatement par rapport à d’autres acteurs «qui vont peut-être surfer sur plus de buzzwords».
Il ne faut guère se leurrer, d’autres entrepreneurs ont aussi flairé l’occasion d’affaires. Reste à traduire une bonne idée en solutions concrètes et pratiques. «La majorité des réseaux actuellement recourent à la blockchain as a service», remarque Francis Nadeau, des services en infonuagique pour déployer des applications à base de chaînes de blocs.
De nouveaux projets vont surgir, tantôt sur des réseaux publics, tantôt sur des plateformes avec permission. Et apparemment, en entreprise, le développement privilégié sera celui de la blockchain privée. «Je pense que les réseaux seront hybrides en fonction des besoins. Est-ce que les grandes entreprises mettent leurs données sensibles sur Dropbox? Pas vraiment», ajoute le PDG.
Technologie encore émergente, la blockchain n’est toujours pas bien cernée alors que oui, elle résout ou est appelée à résoudre certains problèmes. Il suffit de penser aux nombreuses frictions dans la vente d’assurances en ligne. Utiliser un smart contract pour une assurance habitation ou voyage aurait tout son sens.
«Avec un appareil connecté qui vérifie par exemple la présence d’eau dans un logement pour faire intervenir directement la couverture contre les inondations ; ou un tracker sur le site d’Air Canada réagissant à l’annulation d’un vol», décrit Francis Nadeau.
Freins internes
Autrement dit, des éléments technos sont préalablement nécessaires avant l’implémentation d’une blockchain. «Il faut cibler les endroits où la numérisation est déjà complètement accomplie. Pensons à l’immobilier pour la cession d’un bien. Il nous faudrait une ID numérique de la maison, conservée dans un wallet spécifique, pour pouvoir réaliser la transaction, la transférer à un nouveau propriétaire», développe l’analyste blockchain.
Il s’agit d’un enjeu d’identité numérique auquel certains gouvernements se montrent sensibles à l’instar des décideurs de l’Estonie. En revanche, Québec accuse du retard.
«Le gouvernement n’est pas familiarisé avec les données ouvertes pourtant essentielles pour ses administrations, la SAAQ me vient à l’esprit. Le politique doit aller de l’avant, tout comme les grandes entités, pour se munir des outils numériques adéquats», exhorte Francis Nadeau, en mettant le doigt sur le manque d’instrumentation des industries mais également l’obstacle interne aux entreprises, leur culture. Les grandes sociétés nourrissent naturellement de grandes ambitions, dynamisées par des groupes d’innovation interpellés par la blockchain. Elles souffrent malgré tout d’un excès de rigidité.
«Il y a beaucoup de chefs indiens autour de la table où se prennent les décisions, regrette le patron d’Hydralab, et certains cherchent le scénario parfait applicable en un claquement de doigts. C’est oublier que cette technologie est à la base des processus et que beaucoup d’éléments vont devoir changer».
Rendons-nous à l’évidence : on ne met pas une couche de blockchain sur toute une organisation aussi facilement.
La PME dirigée par Francis Nadeau interagit à ce propos avec des firmes qui vendent des services informatiques aux hôpitaux et qui envisagent, avec une certaine ingénuité, de mettre les bases de données sur chaîne de blocs.
«Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. C’est par événement, par patient. Encore une fois l’identité est cruciale. Une association entre entités qui demanderait de standardiser les données permettrait de fluidifier tout ça. Mais l’écosystème ou le marché ne se sont pas encore accordé sur cet aspect-là», indique le jeune PDG.
Avantages concurrentiels
Malgré les dix années écoulées depuis que Bitcoin a rendu célèbre la blockchain, le flou conceptuel persiste toujours. Une situation qui s’expliquerait assez simplement par notre tendance à vouloir intégrer l’évolution technologique dans des processus existants, au lieu d’innover en s’assurant de répondre à d’authentiques besoins.
«Il faut dire qu’avec la blockchain, il règne un grand manque au niveau de l’expertise. C’est sûr qu’on ne voit jamais directement The Big Picture et toutes les opportunités qu’elle comporte. Des gros joueurs tels qu’IBM investissent des grosses sommes dans les développeurs mais doivent encore trouver un volet affaires», considère le patron d’Hydralab.
Il assure que son entreprise suit plutôt le cheminement inverse, en tentant de trouver les besoins sur le plan d’affaires et de développer par la suite. Dans sa gamme de services, le prestataire québécois offre une solution «pas mal clé en main», tout en proposant des templates de blockchain en fonction des demandes. Les clients bénéficient également d’un tableau de bord qui permet de voir ce qui se passe sur leur réseau.
Voilà quelques différentiateurs face à la concurrence de géants du web, dont certains ont déjà remarqué Hydralab. «Nous avons reçu plusieurs offres, sourit dans sa barbe Francis Nadeau, nous avons d’ailleurs discuté avec Amazon et pourrions développer ensemble de nouvelles solutions».
La force d’Hydralab résiderait dans son expérience pratique et technique, en employant des éléments open source qu’elle adapte pour son réseau. Une méthode permettant d’avancer sur des projets plus rapidement.
«Beaucoup d’acteurs se sont concentrés sur la phase d’idéalisation, sur papier. On le voit avec les nombreuses ICO. Sur base d’un simple white paper, il est possible de récolter énormément d’argent. Après, cela devient nettement plus compliqué de livrer», observe l’analyste blockchain.
Sur la bonne voie
Pour prendre un peu de hauteur, en considérant d’abord la province, Francis Nadeau répète que le Québec renferme de belles occasions, tout en souffrant d’un léger retard sur la blockchain. «Car nous sommes déjà en retard sur l’industrie 4.0. Ça nous freine aussi car il nous manque encore une fois l’instrumentation, pour peupler les réseaux», juge-t-il.
Nous serions en mesure d’exploiter davantage et à bon escient cette technologie émergente en apprivoisant tout ce matériel connecté désormais à la portée de chacun. Pensons au simple GPS dans nos téléphones qui permet de nous géolocaliser.
Mais dompter le progrès promis par la blockchain requiert un grand changement dans les processus des entreprises et, a priori, dans l’état d’esprit des décideurs et des consommateurs.
Francis Nadeau craint en outre que le monde, le politique au même rang que le grand public, ne prenne pas suffisamment conscience du phénomène technologique qu’il est en train de vivre. Sans oublier l’amalgame fréquent entre manipulations des cours de cryptommonnaies et projets d’infrastructures blockchain. Voyons, à ce titre, comme Bitcoin garde mauvaise presse.
«Bitcoin va toujours rester, c’est un peu le Coca-Cola des cryptos. Mais pour toutes les autres, on ne sait pas ce qu’elles nous réservent. Sinon, nous avons longuement joué sur le réseau Bitcoin et continuons de le tester. Cela dit, on va privilégier les blockchains privées pour certaines entreprises qui ne visent pas forcément l’interaction avec un public externe», relativise le patron d’Hydralab.
Au-delà de ces incertitudes, l’accueil du marché québécois conforte Francis Nadeau dans son choix de carrière aventureux.
«On se fait beaucoup solliciter pour des panels, des conférences, des rencontres avec des entrepreneurs. Il est encore tôt mais de bonnes portent s’ouvrent», ponctue-t-il, confiant.
Le sculpteur québécois des blockchains veut se bâtir une solide réputation. Reste à voir s’il connaîtra un succès monumental…