Le premier ministre Couillard s'exprimant à Pékin en janvier 2018 sur les aspects Recherche et innovation. [Photo: Ministère du Conseil Exécutif]
Les promoteurs de cet ambitieux chantier blockchain, soutenu depuis longtemps par le gouvernement, s’interrogent soudain sur les conséquences de la polémique tarifaire.
L'inquiétude, en affaires, est une fâcheuse maladie; c'est la conscience qui bat trop fort, écrivait un poète suisse visionnaire il y a plus de cent ans.
Le même jour où un cas de conscience a été soulevé par un acteur techno québécois de premier rang (Cogeco s’inquiétant des retombées négatives du «tarif blockchain» d’Hydro-Québec), deux autres intervenants ont partagé leurs craintes quant au bon déroulement de leur projet crypto dans le Nord-du-Québec.
La Première Nation Crie de Waswanipi et la Corporation Tawich, une propriété de la Première Nation Crie de Wemindji, ont en effet demandé à être entendues par la Régie de l’énergie concernant la refonte des tarifs d'électricité.
Le témoignage de ces entrepreneurs issus des communautés autochtones apporte un éclairage cru sur la stratégie indécise du gouvernement Couillard quant au potentiel réel d’un écosystème blockchain.
Adopteurs précoces
«Notre projet ne fait pas partie de l’afflux soudain de demandes d'usage cryptographique, nous avions entamé nos démarches, notamment avec Hydro-Québec Distribution, depuis déjà quatre ans», remet en contexte le procureur des Premières Nations, qui ont pendant tout ce temps multiplié les rencontres avec la société d’État et l’exécutif provincial.
L'ambitieux chantier comporte trois phases. Un premier volet de cryptominage avec des centres de calculs sur les sites de Wemindji-Radisson (15 MW) et de Waswanipi (30 MW). Un second vise à récupérer la chaleur générée par les centres à des fins agroalimentaires dans des installations de serres et d’aquaculture.
«Ce volet fournirait un accès à prix abordable à des aliments frais, ce qui fait cruellement défaut dans les communautés cries, en plus de contribuer grandement à l’économie locale», détaille le document.
Enfin, le dernier volet table sur un usage projeté de centres de données traditionnels appelés à intégrer les centres cryptographiques.
En bonne compagnie
La Première Nation crie de Waswanipi et la Corporation de développement Tawich ont tenu à «s’assurer du caractère exemplaire du projet» en s’entourant d’acteurs informatiques «solides, tant financièrement que technologiquement».
Depuis 2014, les deux communautés autochtones ont ainsi rencontré plusieurs partenaires potentiels pour les centres de données et de calculs de blockchain: plus d’une cinquantaine en Asie, aux États-Unis et évidemment au Canada.
«Plusieurs partenaires ont été retenus lors d’entrevues finales au cours de la dernière mission du premier ministre Couillard en Chine. Ils sont reconnus comme les plus grandes entreprises dans le domaine avec des profits importants permettant de développer ce type de projets. Par exemple, Bitmain a signifié son intérêt et a déjà visité nos deux sites», nous apprend la demande officielle déposée par les communautés cries.
Le nom du géant chinois du minage de cryptomonnaies semble omniprésent dans le dossier. En poussant un nouveau pion sur l’échiquier entrepreneurial du Québec en plein moratoire, Bitmain avait encore récemment ravivé les spéculations sur son expansion dans la province.
Mais notons surtout que leur expérience de longue date a permis à ces deux Premières Nations d’établir une liste de critères pratiques pour sélectionner les projets cryptographiques.
Étude de cas
D’abord «utiliser des installations fixes (pas des conteneurs)», un détail important que «regrettablement, Hydro-Québec Distribution n’a pas retenu dans sa proposition».
Privilégier par la suite des zones où l’on enregistre des excédents de capacité de transport électrique et des excédents de transformation pour minimiser les coûts de raccordements.
Les fermes de calculs pour chaînes de blocs devraient rester à proximité des centres de formation pour s’assurer du développement de main-d’œuvre locale qualifiée pour ce type de technologies.
Il conviendrait également, selon les promoteurs crypto de Waswanipi et de Wemindji, de s’associer avec les firmes de production d’équipement de calculs (tant ASIC que GPU) afin de «suivre les changements technologiques survenant continuellement dans le domaine» et de «parer au risque qu’un des deux modèles technologiques ne vienne à dominer et remplacer l’autre», explique leur procureur.
C’est en suivant ces raisonnements que les sites de l’aréna désaffectée de Waswanipi et l’entrepôt de Tawich à Radisson ont été sélectionnés pour accueillir les installations de minage. Un représentant d’Hydro-Québec s’est d’ailleurs rendu sur place en février dernier «pour confirmer qu’ils correspondaient bien aux critères énumérés».
Pour plus de certitude, la Première Nation crie de Waswanipi et la Corporation de développement Tawich veulent donc s’assurer que «leur projet est bel et bien admis, y compris en vertu de toute nouvelle règle qui sera instituée par la Régie».
De faible ampleur (55 MW cumulés), localisé dans des terres peu habitées, ce projet autochtone semble acceptable à bien des égards, qu’il s’agisse de l’intérêt public, de l’impact économique, social, environnemental…
«Notre projet constitue l’idéal de projets exemplaires qui devraient voir le jour, méritant même d’être accepté à titre de projet bénéficiant de droits acquis ou même à titre de projet-pilote», conclut le courrier de la Première Nation Crie de Waswanipi et la Corporation de développement Tawich, de Wemindji.
Bref, encore un acteur réclamant plus de cohérence dans la politique crypto «en ombres chinoises» du tandem Québec - Hydro...