«On pense que c’est un crédit porteur, donc on ne propose pas son abolition, mais plutôt sa restructuration pour maximiser les retombées dans l’économie québécoise», soutient Luc Godbout, professeur titulaire en fiscalité à l’Université de Sherbrooke et coauteur de l’étude. (Photo: courtoisie)
Les critères liés au crédit d'impôt provincial pour le développement des affaires électroniques (CDAE) devraient être changés, selon une nouvelle étude de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.
Élaboré par Luc Godbout, Michaël Robert-Angers et Frédéric Deschênes, ce document estime que le gouvernement du Québec devrait modifier cette mesure fiscale afin de mieux atteindre ses deux principaux objectifs, soit de favoriser l’adoption des technologies de l’information (TI) au Québec tout en aidant les entreprises qui fournissent ces services. Ils jugent que les retombées fiscales associées au CDAE «sont maintenant obsolètes et surestiment probablement les avantages liés à ce crédit par rapport à son coût».
Présenté dans le cadre des consultations prébudgétaires, ce cahier précise que les 595 millions de dollars prévus en allégements fiscaux avec le CDAE pour 2023 – ce qui représente près de 10 % des dépenses fiscales québécoises destinées aux entreprises! - devraient être mieux répartis.
«On pense que c’est un crédit porteur, donc on ne propose pas son abolition, mais plutôt sa restructuration pour maximiser les retombées dans l’économie québécoise», soutient Luc Godbout, professeur titulaire en fiscalité à l’Université de Sherbrooke et chercheur principal en finances publiques à la Chaire, en entrevue téléphonique.
Une minorité
L’étude montre que 700 entreprises bénéficient de cette mesure fiscale, mais que celles-ci représentent moins de 10% de l’ensemble de l’industrie des TI. Pour se qualifier, l’entreprise doit tirer la majorité de ses revenus de ces activités: éditeurs de logiciels; éditeurs de jeux vidéo; conception de systèmes informatiques et services connexes et services de conception et de développement de jeux vidéo. Celles qui engrangent leurs revenus de la fabrication de matériel informatique ou dans l’implantation de solutions en TI ne sont par exemple pas admissibles.
Chez celles qui se qualifient, ce sont les grandes entreprises qui raflent la majeure partie du gâteau, puisque leur masse salariale est imposante.
«Une part importante des intervenants de cette industrie mène des activités qui pourraient elles aussi se voir qualifier d’innovantes sans toutefois être admissibles à cette aide fiscale, peut-on lire. Le CDAE demeure par conséquent une mesure relativement coûteuse, qui vise un nombre plutôt restreint de sociétés et de travailleurs de l’industrie des services TI.»
Les auteurs recommandent donc d’élargir la portée du crédit d’impôt, notamment en rendant admissible des entreprises de TI ayant des revenus de moins de deux millions de dollars annuellement et en ouvrant la porte à celles qui innovent, mais qui oeuvrent dans des sous-domaines non admissibles. En parallèle, un plafond dégressif devrait être imposé aux entreprises qui font des revenus supérieurs à 50 millions de dollars, tout en limitant à trois ans certains avantages du crédit pour les organisations dont la société mère n’est pas québécoise.
Problème de main-d’œuvre
La montant du crédit est basé sur le salaire des employés admissibles. «Le crédit se décline en une portion remboursable correspondant à 24 % du salaire admissible (maximum de 20 000 $) et une portion non remboursable au taux de 6 % (le crédit maximal par employé est par conséquent de 5 000 $)», mentionne l’étude.
Dans un marché où la main-d’œuvre en TI se fait rare, ce crédit d’impôt peut créer des distorsions en faveur des entreprises qui peuvent le plus en tirer parti, soit les plus grandes entreprises de TI aux dépens des plus petites. En tant que forme de subvention salariale dont l’objectif est de stimuler l’emploi, le CDAE a un impact limité, car il manque déjà de travailleurs en TI et que seulement certains types d’entreprises peuvent en bénéficier.
«Le CDAE peut donc, dans certaines circonstances, avoir l’effet contraire de ce pour quoi il a été mis en place, rendant plus difficiles le développement de petites sociétés de services TI innovantes et l’embauche de spécialistes en TI par les entreprises cherchant à améliorer leur productivité, mais dont les TI ne sont pas l’activité principale», rapporte le document.
Néanmoins, les chercheurs reconnaissent que ce crédit d’impôt favorise une consolidation financière d’entreprises en TI, ce qui permet une expansion de leurs activités au Québec ou ailleurs dans le monde. Ils notent aussi qu’il peut entraîner des hausses de salaire pour les employés et de dividendes pour les actionnaires tout en incitant à de baisses de prix pour l’obtention des services et produits par les clients.
Quant à l’État québécois, il y perd au change dans la formule actuelle, car globalement, les entreprises qui touchaient le CDAE en 2019 recevaient davantage en crédits d’impôt que ce qu’elles payaient en impôt sur leurs bénéfices et en taxes sur la masse salariale.
Étant donné que ce type d’allégement fiscal est quasi inexistant ailleurs et que le coût pour faire des affaires au Québec est avantageux par rapport à d’autres régions en Amérique du Nord, les auteurs ne croient pas que des changements au CDAE mèneraient à des délocalisations d’entreprises de TI.