«L’innovation n’est pas uniquement étiquetée à l’intelligence artificielle, à la robotique et aux voitures intelligentes», dit Damien Silès.
LE TÊTE-À-TÊTE. L’année a commencé en force pour Damien Silès. Celui qui était à la tête du Quartier de l’innovation de Montréal — avant sa fermeture en juillet 2022 — a été nommé directeur général du Conseil québécois du commerce de détail en janvier. En plus de continuer à créer des ponts entre la communauté québécoise en innovation et ses membres, cet amoureux des arts désire donne un nouvel élan «à un secteur vraiment très important pour le Québec et le Canada».
Entrevue avec un homme d’affaires qui est l’acteur, et non le spectateur, de sa vie professionnelle.
Après un mois à la tête du Conseil québécois du commerce de détail, quels défis entrevoyez-vous pour le secteur?
Je dirais qu’il y a trois défis sur lesquels nous travaillons. Le premier, qui est majeur, c’est la pénurie de main-d’oeuvre. Nous nous retrouvons avec 29 000 personnes manquantes. Nous essayons de voir comment nous pouvons travailler avec le gouvernement pour apporter des solutions. Le deuxième, c’est très terre-à-terre, ce sont les frais de transaction par carte de crédit qui sont ridiculement hauts. C’est la politique fédérale qui s’occupe de ça, mais nous tentons d’entrevoir de quelle manière le Québec peut se positionner clairement sur ce dossier. Regardez l’Europe. Elle charge 0,5% sur les cartes de crédit, et ici, c’est 1,4%. C’est pratiquement trois fois plus. Nous nous apercevons qu’il y a de moins en moins d’argent comptant qui circule et de plus en plus de cartes. L’idée est de trouver un consensus par rapport à ça. Le troisième volet, je dirais que c’est plus en lien avec l’achat local, l’économie circulaire, le changement de paradigme postpandémie, si on peut dire ça comme ça. Nos détaillants souhaitent en savoir plus, tester et voir [comment nous pouvons travailler sur ces fronts].
Et vos défis à vous?
Mon plus grand défi, c’est qu’avant, les innovateurs venaient vers moi et mon rôle était de voir comment nous pouvions mettre en place des projets. Actuellement, ce sont les membres qui viennent vers moi, qui sont sur le terrain et qui ont des défis. Ça a complètement changé la donne. Mais, en gardant un pied dans l’innovation, c’est beaucoup plus facile d’aller chercher les gens avec des compétences en innovation pour répondre [aux défis des détaillants]. Avant, c’était le contraire. Le deuxième défi, c’est de changer de costume, de bien comprendre les problèmes de nos membres et de comprendre comment — autant du côté du gouvernement et de l’innovation que des formations et des événements — nous pouvons répondre à ces derniers. Par chance, j’ai une équipe magnifique, qui est là depuis longtemps et qui est capable de m’aider à mettre en place ces ponts.
Nous ne voyons pas toujours la corrélation entre l’innovation et le commerce de détail. Comment pensez-vous joindre les deux dans votre nouvelle organisation?
L’innovation n’est pas uniquement étiquetée à l’intelligence artificielle, à la robotique et aux voitures intelligentes. L’innovation touche absolument tout, à savoir mon verre d’eau, les lunettes que je porte, le manteau que je vais acheter à mon chien qui est fait d’un textile quelconque. Je dirais que c’est le premier bémol avec le mot innovation. Ce que j’adore dans le défi que je viens de prendre, c’est qu’on se retrouve déjà avec un organisme qui a 45 ans d’âge — ce qui est quand même important —, qui est le plus important regroupement de détaillants du Québec et qui est représentatif de l’ensemble de la province, et pas uniquement de Montréal. On parle d’environ 480 000 employés dans ce secteur, ce qui est énorme. Il faut dire aussi que presque 80 % des entreprises ou des commerces ont moins de dix employés. Ce sont des gens qui sont avides et qui ont soif de connaissances.
Le mandat que nous avons, c’est de faire rayonner le commerce de détail au Québec, et ce qu’il y a de génial, c’est que c’est en perpétuelle évolution. On s’adapte à toutes les sphères — en cybersécurité, en numérique, en transport, en écologie, etc. —, donc, ça devient stimulant. On cherche aussi à le rendre plus attrayant, parce que le commerce de détail, c’est 163 milliards de dollars de ventes l’année dernière, uniquement au Québec. C’est plus de 6,3% du PIB québécois. C’est le plus gros employeur, d’ailleurs, dans le secteur privé.
Il y a une multitude de liens à faire entre le savoir-faire québécois en innovation et le commerce de détail. Je le dis toujours. Montréal est la première ville universitaire du Canada, la deuxième en Amérique du Nord, avec plus de 200 000 étudiants et professeurs. L’idée, c’est de voir de quelle manière on peut apporter des solutions à un secteur qui en a besoin, qui a connu des changements radicaux depuis la pandémie et qui continue de se transformer. Je veux vraiment connecter ce savoir-faire des jeunes et des moins jeunes en innovation avec un secteur qui est très grand, qui est peut-être vu comme étant un peu rétro et vieillot, mais qui a pourtant changé de façon extraordinaire et très rapidement ces dernières années.
Vous avez travaillé longtemps en Amérique du Sud, notamment auprès d’une fondation équatorienne où vous avez développé des marchés nationaux et internationaux pour des artisans locaux. Comment pensez-vous que cette expérience vous est utile aujourd’hui?
Les leaders des petites entreprises dans le commerce de détail font souvent absolument tout, en plus d’être souvent seuls — plus que jamais maintenant, à cause de la pénurie de main-d’oeuvre. C’est 80% des entreprises [du secteur] qui ont moins de dix employés et c’est ce que je retrouvais plus ou moins en Amérique du Sud. Il faut être au four et au moulin en même temps. Il faut faire preuve d’une imagination hors pair. C’est la même chose ici, même si au Québec, nous faisons partie d’un des pays les plus riches et que nous avons une Rolls-Royce de l’accompagnement comparativement à ces pays. Le parallèle que je ferais, c’est vraiment qu’on se retrouve souvent seul et l’idée est de voir comment on peut faire fonctionner notre cerveau pour être capable de s’en sortir. De quelle manière peut-on avoir une réponse rapide à des problèmes que la vie économique nous donne et met en face de nous?
Vous êtes connu pour votre grand engagement socioculturel. Pourquoi est-ce important pour vous de vous impliquer autant, notamment auprès des arts?
Premièrement, j’aime beaucoup l’art. Je pense que dans une autre vie, j’aurais voulu être un artiste, comme le chantait Claude Dubois. Pour moi, c’est très important de soutenir, d’aider et de promouvoir la musique et la beauté. Je crois que cette beauté nous sauvera. Je veux également soutenir la relève et les jeunes qui ne l’ont pas toujours eu facile. Il y a une grande concurrence mondiale et nous avons la chance de vivre dans une province où la culture est importante et a une signature magnifique. C’est une manière pour moi de redonner à la société. Au-delà des dons que je fais chaque année, c’est très important de passer du temps avec des artistes.