Vous accédez à la banque ouverte par l’intermédiaire d’une application fintech dont l’objectif est de vous aider à gérer vos finances. (Photo: 123RF)
Le dernier budget du gouvernement canadien a annoncé qu’il présenterait un projet de loi dès ce printemps, avec un suivi l’automne prochain, ce qui facilitera la mise en œuvre d’un système bancaire ouvert, et suscitera un débat accru sur le sujet.
Également appelés services bancaires axés sur le consommateur, les services bancaires ouverts ne sont pas encore disponibles au Canada, mais ils ont pris de l’ampleur au Royaume-Uni et en Australie. Comme l’explique un site web du gouvernement canadien, le bancaire ouvert répond essentiellement à la pression exercée par le secteur des fintechs (des sociétés de logiciel qui développent des applications tierces, ou apps, principalement pour les téléphones mobiles et les tablettes, utilisées dans le secteur financier).
Les fintechs sont à l'origine du « bancaire ouvert »
On peut comprendre que le Royaume-Uni soit le fer de lance de l’initiative open banking car il a identifié les fintechs comme un secteur de développement clé de son économie et a créé des conditions réglementaires très favorables à son développement.
Vous accédez à la banque ouverte par l’intermédiaire d’une application fintech dont l’objectif est de vous aider à gérer vos finances. Cette application vous demande de la relier à vos comptes bancaires pour qu’elle puisse accéder à vos données financières, et vous devez autoriser votre banque à partager vos données avec l’application. Actuellement, «on estime à neuf millions le nombre de Canadiens qui communiquent leurs données bancaires confidentielles à des fournisseurs de services», peut-on lire sur le site web du gouvernement.
Ce partage se fait par «capture de données d’écran» (screen scraping), c’est-à-dire que vous fournissez votre nom d’utilisateur et votre mot de passe de banque en ligne au fournisseur de l’application, qui utilise ces informations «pour se connecter automatiquement à votre compte bancaire comme s’il s’agissait de vous». Cela signifie que vous perdez le contrôle de vos identifiants, ce qui pose un problème de sécurité majeur.
«La capture de données d’écran n’est pas du tout sécuritaire et c’est une manière non réglementée de partager vos informations», reconnaît Carl De Souza, vice-président senior, responsable du secteur des notations des institutions financières en Amérique du Nord, chez Morningstar DBRS. La législation annoncée viserait à garantir la sécurité et la protection de la vie privée, ainsi qu’à mettre en place un cadre réglementaire pour déterminer les acteurs autorisés et l’étendue de leurs responsabilités.
De nombreux avantages — sur papier
Quels sont les avantages de la banque ouverte? «Plus d’options de gestion du budget, répond Carl De Souza, et un moyen plus facile de passer d’une banque à l’autre.» L’un des principaux avantages est que les consommateurs pourraient «monopoliser» leurs informations financières, alors qu’auparavant, «les banques monopolisaient ces informations sur vous», fait ressortir Luca Lin, professeur de finance à HEC Montréal. «Avec plus de concurrence (entre les institutions financières), ajoute-t-il, les choses devraient devenir moins chères pour les consommateurs, avec des prêts à moindre coût par exemple.» En effet, comme l’explique Luca Lin, puisqu’un utilisateur concentrera désormais toutes ses informations et données de transaction, «il pourra les mettre en garantie pour signaler qu’il est un bon emprunteur», et ainsi négocier des conditions d’emprunt plus favorables. De même, l’introduction d’outils d’analyse assistée par l’IA pourrait aider les consommateurs sur de nombreux fronts : meilleure budgétisation, amélioration du portefeuille d’investissement et meilleures conditions d’emprunt.
«Un système bancaire ouvert devrait rendre le partage d’informations plus sûr, mais il comporte toujours des risques, tels que les risques opérationnels, les cybermenaces et les risques de poursuite», prévient Carl De Souza.
Des inconvénients paradoxaux
Luca Lin indique quelques inconvénients «paradoxaux». «Il y aura toujours des personnes plus soucieuses de la sécurité, en particulier les femmes, qui seront plus réticentes à partager leurs données. Comment les institutions interpréteront-elles cette réticence? S’agit-il d’une hypersensibilité à la sécurité ou d’un mauvais historique de crédit?» Cette ambiguïté pourrait entraîner une augmentation des frais et des tarifs pour tous les utilisateurs qui ne sont pas totalement transparents.
L’ensemble du système pourrait également finir par favoriser les consommateurs fortunés parce qu’ils ne craignent pas de partager leurs informations, et désavantager les plus petits acteurs. «Qui se chargera de la sélection et de la surveillance? s’interroge Luca Lin. Si une banque le fait, elle le fera gratuitement pour toutes les autres. Elle ne sera pas en mesure d’éliminer les mauvais joueurs et, pour se protéger, elle pourrait simplement augmenter les coûts pour tout le monde, à l’exception des banques vraiment transparentes et vertueuses.»
Luca Lin rappelle les conséquences indésirables qui ont suivi l’élimination par les autorités règlementaires des commissions de suivi liées aux fonds communs. L’objectif vertueux d’éliminer tous les conflits d’intérêts potentiels a pu entraîner les conseillers à privilégier les clients fortunés en leur proposant des comptes à honoraires et à négliger les petits investisseurs qui étaient auparavant mieux servis par les commissions de suivi.
Un succès mitigé
En mars 2021, le magazine MoneyWeek a qualifié l’initiative de banque ouverte du Royaume-Uni, lancée en janvier 2018, de «grande réussite britannique», avec 2,5 millions de citoyens et d’entreprises l’ayant adoptée. Luca Lin n’est pas de cet avis. «Ce que je vois aujourd’hui n’est pas un grand succès parce que peu de gens l’ont adopté par rapport à la banque virtuelle. Seuls 10% des citoyens sont passés à la banque ouverte, alors que 60 à 70% ont adopté les services bancaires numériques.»
Le gouvernement fédéral canadien donne des signes de vouloir aller de l’avant. Mais les intentions ne sont pas la réalité. La réalité est que «parce que nous avons un oligopole financier au Canada, la motivation est plutôt limitée», suggère Richard Guay, professeur de finance à l’ESG de l’Université du Québec à Montréal et ancien PDG de la Caisse de Dépôt et Placement du Québec. Il rappelle que le projet est en transit à Ottawa depuis 2018 et que «ce que j’entends actuellement ressemble encore à ce que j’entendais il y a cinq ans».
Richard Guay fait une comparaison avec les États-Unis, où une petite banque qui ne détient que 1% de toutes les informations sur les consommateurs pourrait trouver extrêmement attrayant d’avoir la possibilité d’accéder aux 99% restants. «Mais la Banque Royale, par exemple, voit déjà beaucoup d’informations sur les clients», souligne-t-il, affirmant que les six grandes banques canadiennes ont plus à perdre en «libérant» leurs informations et en devant mettre en place les systèmes informatiques nécessaires. «Je ne ressens pas un grand enthousiasme», ironise-t-il.
Un texte de Yan Barcelo pour Morningstar