Alexandre L’Heureux, président et chef de la direction, WSP (Photo: Martin Flamand)
D’une firme qui ne débordait pas des frontières du Québec, WSP Global est devenue, au fil des ans, un leader mondial du secteur de l’ingénierie, comptant plus de 67000 employés dans 60 pays. Malgré cela, l’entreprise québécoise n’a pas l’intention de s’asseoir sur ses lauriers. Elle poursuivra sa croissance grâce à une stratégie qui l’a très bien servie depuis une douzaine d’années: celle des acquisitions qualitatives.
C’est d’ailleurs sur un pari «audacieux», en 2010, que la société montréalaise, qui se nommait à l’époque Genivar, a démarré son parcours pour se hisser au sommet.
«Entre 2006 et 2010, nous nous sommes affairés à transposer au reste du Canada ce que nous avions créé au Québec, rappelle le président et chef de la direction de WSP, Alexandre L’Heureux. Le prochain tremplin était ensuite de recréer le modèle national au niveau international.»
C’est alors que l’entreprise jette les dés. Elle vend une tranche de 10% de ses actions à la Caisse de dépôt et placement du Québec et un autre 10% à l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada.
«À l’époque, ça ne se faisait pas beaucoup, se remémore Alexandre L’Heureux. Ça a créé une onde de choc dans le monde de l’investissement. Surtout que nous n’avions pas d’acquisition en vue reliée à cette vente.»
Redéfinition
N’en demeure pas moins que ce geste allait redéfinir l’entreprise. Deux ans plus tard, en 2012, la société anglaise WSP cogne à la porte de Genivar.
«C’est avec ce capital et avec le soutien de deux investisseurs super-sophistiqués dans le monde de l’infrastructure qu’en 2012, on a été capables d’attirer WSP vers nous, souligne-t-il. Ils étaient deux fois notre taille, mais nous avions une force de frappe.»
Cette acquisition, Alexandre L’Heureux la qualifie d’«audacieuse» parce que les conditions économiques mondiales étaient difficiles. Plusieurs pays (Grande-Bretagne, Grèce, Portugal, Espagne, etc.) éprouvaient de sérieuses difficultés financières, et l’accès au capital était «excessivement ardu».
«Nous avons donc eu une occasion d’affaires assez unique dans un moment crucial où on a pu acheter la société, indique-t-il. C’était assez audacieux, mais ça a été une de nos meilleures transactions. Du jour au lendemain, nous sommes devenus WSP. Cette dernière était présente dans 24 pays, alors que Genivar l’était seulement au Canada. C’était assez simple de décider quelle identité conserver», explique le dirigeant.
Stratégie répliquée
Cette stratégie, qui a jeté les bases du WSP que l’on connaît aujourd’hui, a été maintes fois répliquée par celui qui est devenu le président et chef de la direction en 2016. Depuis son arrivée en poste, Alexandre L’Heureux a procédé à plus de 90 fusions et acquisitions. Seulement depuis le début de 2024, l’entreprise a procédé à quatre acquisitions, notamment celle de 1A Ingenieros, qui compte 250 employés et qui lui permet de mettre les pieds en Espagne.
C’est d’ailleurs en poursuivant cette stratégie d’acquisitions qu’il compte faire encore progresser l’entreprise au cours des prochaines années. Il estime que les acquisitions devraient compter pour 50% de la croissance, l’autre 50% venant de la croissance organique.
«Nous voulons créer le chef de file mondial en sciences et en ingénierie dans les services professionnels, explique-t-il. Il y a encore énormément de place à la consolidation dans notre secteur. Je perçois vraiment qu’il y a des occasions d’affaires de ce côté.»
Moyens de ses ambitions
WSP a les reins assez solides pour réaliser ses ambitions. Elle avait environ 300 M$ de liquidités à la fin de son premier trimestre 2024, mais Alexandre L’Heureux estime que l’entreprise serait capable, aujourd’hui, de conclure une acquisition d’environ 2 milliards de dollars (G $) sans avoir à obtenir de financement supplémentaire.
L’analyste Benoit Poirier, de Desjardins, se dit heureux de voir que WSP sera encore sur le sentier des acquisitions en 2024. Dans une note publiée le 9 mai, il avance qu’un retour à une approche «plus agressive» fournira à l’entreprise un «avantage concurrentiel» dans un environnement où il pourrait bien y avoir un ralentissement économique.
L’évaluation du président et chef de direction à propos des fonds disponibles semble plus que prudente comparé à celle de l’analyste. Benoit Poirier prévoit que WSP devrait terminer l’exercice financier de 2024 avec 861 M$ de flux de trésorerie, ce qui lui permettrait, maintient-il, de potentiellement réaliser une acquisition de 3 G$ sans financement supplémentaire.
Acquisitions qualitatives
WSP conservera toutefois sa méthode disciplinée et opportuniste, observe Alexandre L’Heureux. Si elle procède à une acquisition, c’est parce qu’elle apportera une plus-value certaine, pas simplement parce qu’il s’agit d’une société de grande taille.
«Pour nous, la taille, ce n’est pas un critère d’investissement, laisse-t-il tomber. En fait, je pense que ce serait une très mauvaise idée parce que la question, pour nous, c’est: est-ce que nous ajoutons de la valeur à la plateforme? Est-ce que nous sommes capables d’offrir plus de services à nos clients, ou de meilleurs services? Nous sommes une entreprise de savoir, nous ne faisons pas dans la construction. Acheter le savoir, attirer le savoir, c’est le nerf de la guerre pour WSP.»
Il souligne d’ailleurs que lorsqu’une acquisition perd cette plus-value, l’entreprise n’a pas peur de s’en départir.
«Nous vendons rarement, mais l’an dernier, nous nous sommes départis d’une société de 1500 employés (NDLR, la filiale Louis Berger). C’est simplement que ses activités n’étaient pas stratégiques pour nous.»
Leader dès le départ
WSP ne s’éparpille pas non plus. Lorsque l’entreprise réalise une acquisition, elle le fait avec l’idée que cela lui permettra de devenir un des leaders dans le pays visé.
«Si nous entrons dans un pays, nous voulons acquérir une réputation de chef de file, explique Alexandre L’Heureux. Par exemple, l’année dernière, nous avons acquis BG Ingénieurs Conseils à Lausanne avec ses 1000 employés. Ça nous a permis de nous hisser dans le top 3 en Suisse.»
La logique a été la même avec l’acquisition de 1A Ingenieros en Espagne, poursuit-il.
«Avec cette acquisition-là, nous sommes la plus grande société internationale en Espagne, souligne-t-il. Évidemment, on est plus petit que quelques entreprises locales, mais au volet international, nous sommes les plus grands. Quand nous mettons les pieds dans un pays, c’est vraiment pour acquérir une réputation, tant pour l’expertise que pour la position de chef de file. C’est notre stratégie. Aux États-Unis, j’aimerais ça penser qu’on est le numéro un dans plusieurs secteurs. Au Canada, je pense qu’on est le numéro un, tout comme au Royaume-Uni.»
Secteurs géographiques visés
Alexandre L’Heureux révèle que 90% des investissements ou de l’allocation du capital de WSP se feront dans les pays de l’OCDE au cours des prochaines années.
«Je ne dis pas qu’on ne va pas investir dans des pays qui ne sont pas dans l’OCDE, mais nous possédons une stratégie assez centrée sur les pays où nous sommes déjà présents.»
WSP a une empreinte géographique dans 60 pays présentement, remarque-t-il. L’entreprise va poursuivre ses investissements à ces endroits, même si certains seront priorisés.
«Les États-Unis sont assez haut sur notre liste d’épicerie, mentionne-t-il. Ce qui ne veut pas dire que nous allons négliger le reste du monde. En Europe centrale, nous voulons réaliser beaucoup de progrès dans les prochaines années», dit-il, précisant qu’il aimerait avoir une présence plus importante notamment en France, en Espagne et aux Pays-Bas.