Québec — Alors que la crise du logement perdure, la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, veut décréter un moratoire de trois ans sur les évictions afin de mieux protéger les locataires dans un contexte où le taux d’inoccupation est très faible.
Le texte du projet de loi 65, qui a été déposé à l’Assemblée nationale mercredi matin, stipule qu’il est «interdit, pour une période de trois ans, au locateur d’un logement d’en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l’agrandir substantiellement ou en changer l’affectation».
«Une éviction ou une menace d’éviction, ça cause un stress immense et on souhaite éviter à un maximum de Québécois de se retrouver dans une telle situation considérant le peu d’alternatives à leur disposition présentement», a dit la ministre en point de presse.
«En contexte de crise, le fait de perdre son logement peut avoir des conséquences immenses qui peuvent aller jusqu’à l’itinérance, alors il faut éviter ça», a-t-elle ajouté.
La pièce législative prévoit également «que l’interdiction prend fin si le taux d’inoccupation des logements locatifs publié par la Société canadienne d’hypothèques et de logement pour l’ensemble des centres urbains du Québec dont la population est d’au moins 10 000 habitants atteint 3%».
«Les taux d’inoccupation sont très faibles et bien que les locataires soient mieux protégés depuis la loi 31, il n’y a pas de logement où aller», a affirmé France-Élaine Duranceau.
Le projet de loi précise que le gouvernement pourra «soustraire toute partie du territoire du Québec de l’application de cette interdiction».
Élargir la «loi Françoise David»
La ministre compte aussi élargir la «loi Françoise David» pour faire passer l’âge pour être protégé contre les évictions de 70 à 65 ans. Également, le projet de loi augmente la limite du revenu pour être admissible à la protection de 25%.
On estime à 24 000 ménages de plus qui seraient protégés par la nouvelle mesure.
En agissant ainsi, la ministre reprend donc une partie du projet de loi 198 de Québec solidaire (QS). La formation politique de gauche a d’ailleurs rencontré France-Élaine Duranceau à plusieurs reprises pour discuter du dossier.
«Je tiens à saluer mes collègues de Québec solidaire, plus particulièrement (les députés) Andrés Fontecilla et Christine Labrie. On partage l’objectif de protéger les personnes les plus vulnérables des impacts de la crise et on a eu une très bonne collaboration dans ce dossier jusqu’à présent», a dit la ministre au début de son point de presse où elle présentait sa pièce législative.
C’est un changement de cap important pour le gouvernement. Durant l’étude détaillée du projet de loi 31 sur le logement, la ministre était bien peu réceptive aux propositions des oppositions. Elle avait rejeté les amendements de QS et du Parti québécois visant à mieux protéger les aînés des évictions. À l’époque, la ministre avait dit que son projet de loi contenait déjà plusieurs mesures pour protéger les gens des expulsions, peu importe leur âge.
La ministre a dû répondre à de nombreuses questions durant son point de presse afin d’expliquer sa volte-face. France-Élaine Duranceau affirme que de nouvelles données ont fait évoluer sa réflexion sur le sujet. La ministre pointe notamment «l’arrivée massive de résidents non permanents» au Québec.
La ministre n’a d’ailleurs pas fermé la porte à déposer d’autres projets de loi en fonction de l’évolution de la crise du logement.
«J’aime mieux quelqu’un qui y va méthodiquement, par étape, qui s’adapte et qui va chercher toute l’information, plutôt que quelqu’un qui fait n’importe quoi», s’est-elle justifiée.
«Une révolution»
La députée solidaire Christine Labrie s’est réjouie du projet de loi de la ministre, affirmant qu’il s’apparentait à «une révolution dans le contexte de la crise».
«La CAQ dépose enfin un projet de loi qui reprend nos revendications: renforcer la protection des locataires aîné-es en plus d’imposer un moratoire sur les évictions dans les villes où la crise du logement est la plus forte. C’est une très bonne nouvelle pour les locataires du Québec et une démonstration que les solutions que Québec solidaire amène à la crise du logement sont les bonnes!» a-t-elle affirmé.
Rappelons qu’il y a quelques mois, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) avait accepté d’appeler le projet de loi 198 de QS visant aussi à mieux protéger les aînés des évictions. Le débat sur le principe de la pièce législative a eu lieu en mars dernier, mais il s’est terminé sans qu’il y ait de vote.
Le gouvernement avait soufflé le chaud et le froid quant au projet de loi solidaire. La ministre Duranceau a finalement préféré déposer sa propre mouture.
Le Parti libéral du Québec a réservé un accueil beaucoup plus froid au projet de loi de la ministre, affirmant qu’il ne fait rien pour régler la crise du logement.
«Le projet de loi présenté par la ministre responsable de l’Habitation ressemble davantage à une opération charme pour redorer son image qu’à une réelle solution pour régler le manque criant de logements. (…) Imposer un moratoire sur les évictions, sans aucune forme d’aide pour la rénovation, risque de provoquer une baisse des investissements de la part des propriétaires dans un parc locatif qui est déjà fort vieillissant», a soutenu la députée libérale Virginie Dufour.
Malgré ses critiques, elle a indiqué que sa formation politique était en faveur du projet de loi.
Au sujet du moratoire de trois ans sur les évictions, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec dit qu’elle «comprend les intentions louables derrière cette mesure, mais souligne qu’elle ne contribuera pas à régler la pénurie généralisée de logements qui ne cesse de croître».
Le Réseau FADOQ accueille favorablement la bonification de la protection des locataires aînés. «Ce projet de loi implique de grandes avancées pour la protection des locataires aînés. On constate que les pressions politiques effectuées donnent des résultats», a affirmé la présidente du Réseau FADOQ, Gisèle Tassé-Goodman.
Thomas Laberge, La Presse Canadienne
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