Vous croyez qu'il n'est plus possible de s'enrichir avec une maison ? Détrompez-vous ! Grâce, entre autres, à l'effet de levier que vous procure l'hypothèque, vous pouvez espérer un gain facile de 300 % sur dix ans.
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Marie-Hélène Jutras et Nicolas Lapierre viennent d'acheter leur première maison à Sainte-Julie, sur la Rive-Sud de Montréal. Ils ont quitté en juin dernier leur appartement de l'arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil, pour s'installer dans leur nouvelle acquisition, à deux pas de l'autoroute 30.
La décision allait de soi. «Avant de vivre en couple, cela nous coûtait plus cher. Nous avions chacun notre appartement», dit Marie-Hélène Jutras, une physiothérapeute de 29 ans. Aujourd'hui, le couple a des paiements de 765 dollars aux deux semaines, taxes comprises, soit 1 530 dollars par mois. La vie a bien fait les choses dans leur cas : quelques mois après le déménagement, Marie-Hélène a appris qu'elle était enceinte. L'héritier pourra s'en donner à coeur joie dans le jardin !
Bien sûr, les futurs parents n'ont pas déménagé pour faire de l'argent. Ils ont tout de même pensé à la croissance de la valeur de la propriété, qu'ils ont payée 264 000 dollars. «Je ne crois pas que les maisons prendront énormément de valeur dans les prochaines années. Mais avec les rénovations, j'espère la vendre au moins 400 000 dollars dans dix ans», dit le futur papa, 28 ans, camionneur dans une entreprise d'excavation.
C'est optimiste. Le magazine A+ a demandé à des économistes de six institutions financières de se prononcer quant à l'augmentation potentielle du prix des maisons pendant la prochaine décennie. Ils misent sur une hausse moyenne de 1,9 % par an. À ce rythme, dans dix ans, la maison des Jutras-Lapierre vaudra à peine 320 000 dollars.
C'est vrai, cela n'a rien de comparable avec les hausses annualisées de 8 % qu'a connues la province au cours de la dernière décennie, selon la Fédération des chambres immobilières du Québec. Pendant ces temps fastes, les propriétaires québécois se sont considérablement enrichis. Durant la même période, l'indice phare de la Bourse de Toronto, le S&P/TSX, n'a progressé que de 5,4 % par an.
À première vue, le potentiel de l'immobilier n'a donc rien d'excitant. Selon les économistes que nous avons consultés, le marché immobilier devrait stagner et la Bourse devrait retrouver de sa vigueur.
Si on se fie aux prévisions, une maison unifamiliale au prix médian (au Québec) de 217 500 dollars ne vaudra alors pas plus de 280 000 dollars en 2021 !
Par contre, ce chiffre ne tient pas compte non plus des deux plus grands alliés du propriétaire : l'effet de levier que lui procure l'hypothèque, et le loyer, qu'il n'aura pas à payer à un tiers pour se loger.
Bonne nouvelle, particulièrement pour les premiers acheteurs. Si l'on calcule ces deux facteurs, on voit que le nouveau propriétaire pourra profiter de rendements de son investissement considérables sur dix ans. En fait, l'immobilier devrait continuer à rapporter plus que la Bourse... même si son rendement moyen annuel était de deux ou trois fois moins élevé !
La magie de l'effet de levier
A+ a demandé à un évaluateur agréé chevronné de calculer le rendement d'un investissement immobilier sur dix ans. Dans son modèle, Yvon Rudolphe a intégré la moyenne des prévisions d'économistes de six institutions financières pour la hausse des valeurs immobilières et les taux hypothécaires.
Ces calculs sont théoriques, bien sûr. Les gens qui achètent une maison font cette acquisition pour toutes sortes de raisons subjectives qui ont peu à voir avec leur portefeuille, comme le besoin de se sentir chez soi ou de jouir de plus d'espace. Mais l'acheteur potentiel devrait tout de même savoir que malgré de faibles hausses des valeurs immobilières, un investissement dans une maison peut procurer d'importants rendements en moins d'une décennie.
Démonstration. Pour acheter une maison unifamiliale au prix médian (au Québec) de 217 500 dollars, par exemple, un acquéreur peut débourser aussi peu que 15 311 dollars lors de la transaction, soit une mise de fonds de 5 %, les frais de notaire et la taxe de mutation. Au cours de la première année, il effectue des paiements qui totalisent 2 465 dollars en intérêts, en taxes et en entretien. En 12 mois, il a donc déboursé 17 776 dollars.
Cependant, le gain en capital s'accumule dès le départ. Même si la hausse de la valeur de la maison est modérée, par exemple, de 1,9 % par an pendant dix ans comme l'ont suggéré les économistes consultés par A+, ce gain se calcule dès la première année sur la valeur totale de la maison, de 217 500 dollars, et non seulement sur la mise de fonds. Le nouveau propriétaire fera donc 4 133 dollars dès la première année, soit 23 % de ce qu'il a réellement déboursé en un an. Rendement respectable ! Par contre, s'il vendait sa maison immédiatement, les frais de courtage de plus de 10 000 dollars grugeraient complètement la plus-value, qui se transformerait alors en perte.
Un investisseur en Bourse aurait du mal à reproduire un tel rendement. Supposons qu'un locataire investisse dans l'indice TSX de la Bourse de Toronto une somme équivalant à la mise de fonds et aux frais de transaction de la maison unifamiliale, soit 15 311 dollars. Si la performance du TSX s'approche du rendement annuel moyen estimé par les économistes consultés, 6 %, cette somme s'appréciera de 5 %, une fois les frais de gestion retranchés. Mais ce montant est de 15 311 dollars, et non de 217 500 dollars... En Bourse, l'investisseur ne réalisera qu'un gain de 766 dollars. Un rendement cinq fois moins élevé après un an.
Le tout avec la même mise. Vive l'effet de levier ! «C'est le facteur le plus important dans l'investissement immobilier», explique Yvon Rudolphe, qui est également administrateur agréé. Lui-même s'étonne des résultats de son propre modèle. «Même faible, le rendement s'applique au total de l'investissement : le capital comme la dette.»
Peu d'investisseurs en Bourse ont un compte d'investissement sur marge qui leur permettrait d'utiliser cet effet de levier en offrant le reste de leur portefeuille en garantie. Et même s'ils en ont un, ils n'obtiennent pas un levier 20 fois plus important que leur mise, comme c'est le cas pour l'acheteur de maison qui débourse 5 % du prix total. Avec raison : comme la Bourse est beaucoup plus volatile que l'immobilier, il s'agirait d'un jeu dangereux pour les banques... et pour l'investisseur !
L'envers de la médaille
Pour les propriétaires, l'effet de levier a cependant un désavantage de taille. S'il accroît le rendement potentiel d'un investissement, il en augmente aussi considérablement le risque. L'achat d'une maison à l'aide d'une hypothèque fournit un rendement appréciable, tant que les valeurs immobilières augmentent un peu et que les taux d'intérêt restent relativement bas. C'est d'ailleurs ce que prévoient les économistes consultés par A+. Mais s'ils se trompaient ? Si la crise se prolongeait et que le taux de chômage bondissait ? Si le gouvernement mettait un frein à l'immigration, comme le propose François Legault, réduisant d'autant la demande pour les habitations ?
Imaginons un scénario catastrophe. Selon l'indice S&P/Case-Shiller, entre décembre 2007 et décembre 2008, le prix des maisons aux États-Unis a baissé de 18 %. Si une telle crise se produisait dans la région de Montréal cette année, les Jutras-Lapierre perdraient pas moins de 47 520 dollars sur la valeur de leur maison, dès la première année ! Douze mois pendant lesquels ils auront déboursé 35 331 dollars pour la mise de fonds de 10 %, les paiements d'intérêts et les taxes. Un trou de 134 % de leur capital investi. Autrement dit, ils perdraient encore plus d'argent qu'ils n'en ont sorti de leurs poches !
L'effet de levier est une lame à double tranchant. Si, par malheur, l'immobilier se déprécie, les pertes s'accumulent sur la valeur de la maison tout entière, et non seulement sur le capital déjà remboursé.
Si la Bourse plonge, l'investisseur en valeurs mobilières, lui, ne perdra que les gains sur les sommes qu'il a déjà capitalisées, soit 35 331 dollars, s'il a déboursé le même montant que les Jutras-Lapierre. Si la valeur de son portefeuille chute de 18 %, il ne perdra «que» 6 360 dollars.
Toutefois, les Jutras-Lapierre peuvent se rassurer. Les économistes jugent qu'une chute de la valeur des maisons est improbable, et s'attendent plutôt à une hausse de 1,9 % par an. À ce rythme, leur nouvelle acquisition vaudra près de 320 000 dollars dans dix ans. Si l'on tient compte des loyers qu'ils épargnent en n'étant plus locataires, ils jouiront d'un rendement respectable de 236 %.
Un investissement à long terme... mais pas trop
Dans le cas d'un immeuble à logements multiples, la plus-value est plus difficile à évaluer : elle dépend du nombre de logements mis en location, qui procurent des revenus.
André Rodrigue à fait ce genre de calculs. À 50 ans, il vient de prendre une décision importante. Il a vendu sa grande maison de campagne de Bromptonville pour acheter un immeuble de logements dans Sherbrooke-Ouest. Il a emménagé avec sa conjointe et ses deux fils de 16 et 18 ans dans le plus grand appartement de son nouveau quintuplex, un cinq et demi.
Adieu, la vie à la campagne et la grande piscine. «C'est sûr qu'il a fallu s'adapter», dit doucement André Rodrigue, pour ne pas réveiller l'un des ses fils qui dort encore, dans la chambre d'à côté. «Là-bas, les gars étaient gâtés : ils avaient pratiquement leur appartement dans le sous-sol. Maintenant, ils vivent plus en famille !»
Et surtout, André Rodrigue a maintenant quatre logements à louer, qui lui permettent de faire ses paiements d'hypothèque. Électromécanicien chez Imprimeries Transcontinental, il mise sur cet actif pour se bâtir un fonds de retraite. Un investissement à long terme. «J'ai acheté ça pour le garder jusqu'à ce que mort s'ensuive. Aujourd'hui, le marché est devenu trop difficile pour spéculer.»
André Rodrigue a raison de garder son immeuble pendant un certain nombre d'années. Par contre, le modèle d'Yvon Rudolphe montre qu'il n'a pas intérêt à garder son immeuble plus d'une décennie pour maximiser son rendement, car l'avantage de l'effet de levier s'atténue avec le temps. Au fil des ans, en plus des intérêts, le propriétaire rembourse une part de plus en plus importante de son prêt, ce qui amenuise l'effet de levier.
Mais André Rodrigue ne s'en soucie guère. Pour lui, son immeuble est aussi un projet. En quelques mois, il a déjà beaucoup amélioré l'aspect de son quintuplex. Datant d'une cinquantaine d'années, l'immeuble en avait bien besoin. Le nouveau propriétaire a remplacé les vieilles tuiles des années 1960 par des planchers de bois franc. Il a posé de nouvelles moulures, de nouvelles portes. «J'aime ce qui est beau, dit-il. Le jour où je le mettrai en vente, je veux que l'acheteur dise ''Wow !'' et qu'il signe rapidement.»
Comme André Rodrigue, la plupart des acheteurs ont plusieurs raisons très subjectives d'acheter un immeuble. À Sainte-Julie, Marie-Hélène Jutras non plus ne se soucie pas trop de la hausse potentielle de la valeur de la maison. Pour elle et son conjoint, il s'agit moins d'un investissement que d'un toit, plus confortable et plus grand que leur ancien appartement. «On n'entend pas ce que le voisin dit, ni le petit gars qui joue aux quilles en haut... Et si on veut regarder la télé à tue-tête, on peut !»