EXPERT INVITÉ. Les faits sont indéniables. Le Québec a tout pour développer la batterie la plus verte d’Amérique du Nord. Un sous-sol riche en minéraux, une source d’électricité propre et renouvelable, un savoir-faire de pointe, une volonté de développement et d’investissement des différents paliers gouvernementaux, ainsi qu’un emplacement géographique stratégique, font de la belle province une candidate idéale.
Consultez notre numéro spécial dédié à la filière batterie
Avec l’ambition de produire la batterie la plus verte au monde, le gouvernement du Québec a, au cours des dernières années, multiplié les investissements pour se positionner comme un incontournable dans la filière batterie.
Avec plus de 11 milliards de dollars de projets annoncés, ainsi qu’une quinzaine de milliards de dollars supplémentaires à venir au cours des prochaines années — selon les propos de Guy Leblanc, l’ancien dirigeant d’Investissement Québec —, il va sans dire que le Québec est «all in» dans sa stratégie.
Face à l’ampleur de ces investissements, le droit à l’erreur est quasi inexistant. S’il fallait que l’aventure échoue, une génération tout entière en ressentirait les répercussions. Nous avons tout à gagner collectivement de voir le Québec se positionner comme un leader mondial de la transition énergétique via cette filière, entre autres.
En tant qu’entrepreneur, je me pose quotidiennement des questions concernant les plans futurs de l’entreprise, nos différents projets en cours, les tendances de consommation, l’état de l’économie et bien entendu les potentiels risques de chacune de nos actions, chacune de nos décisions.
Dans le cas de la filière batterie, cet esprit d’analyse doit être sensiblement le même. Bien que je souhaite évidemment un immense succès à cette décision pleine de sens, je vois se pointer à l’horizon quelques nuages me faisant craindre non pas la mort de la voiture électrique, donc également de la batterie, mais plutôt un ralentissement, voire un important délai dans l’adoption de celle-ci par le grand public.
Changement d’habitude
Le nombre de voitures à essence au Québec a atteint un sommet record de plus de 4,8 millions entre 2022 et 2023. Bien que le nombre de véhicules électriques sur les routes a augmenté plus rapidement, on en retrouve un peu moins de 250 000.
Sans un changement d’habitude majeur de la part d’une grande majorité des consommateurs, tout investissement dans l’industrie deviendrait un investissement stagnant, loin de la nouvelle ruée vers l’or tant attendue.
L’abordabilité
Le prix est toujours un important facteur dans une prise de décision, surtout de l’envergure de l’achat d’un véhicule. Les différentes subventions gouvernementales existent d’ailleurs pour inciter le consommateur à choisir un véhicule hybride ou électrique. Malheureusement, pour une raison que je m’explique mal, le gouvernement Legault a décidé de mettre la hache dans le programme Roulez vert au moment où on en aurait le plus besoin!
Au Québec, avec un coût moyen de 73 000$ pour un véhicule électrique neuf, il est quasiment impossible pour la plupart des consommateurs d’en faire l’achat (et je ne parle même pas ici des taux d’intérêt). Afin que ce fameux changement d’habitude s’enclenche pour de bon, il est essentiel que les constructeurs automobiles développent des modèles plus abordables et que le gouvernement prolonge, pour plusieurs années encore, les subventions permettant à un maximum de consommateurs de pouvoir s’offrir le choix de rouler vert.
Un nouveau modèle
Transformer un modèle d’affaires qui existe depuis plus d’un siècle ne se fait pas qu’avec de l’ambition, de beaux projets, des cibles à atteindre et une pincée d’espoir. Pour transformer le modèle de l’industrie automobile tel qu’on le connaît, il faut, ni plus ni moins, revoir au grand complet les chaînes d’approvisionnement, les différentes infrastructures, les sources et moyens de transport de l’énergie nécessaire et beaucoup plus encore.
Le plus important défi dans l’aventure de la voiture électrique n’est pas de la construire, de la rendre abordable ou de prolonger son autonomie, c’est plutôt de créer un tout nouvel écosystème autour de l’utilisation de celle-ci.
De la production suffisante d’électricité verte (car fournir de l’électricité via des centrales au charbon annulerait les avantages de rouler vert) au réseau de plusieurs centaines de milliers de bornes de recharge haute vitesse que l’on devra installer aux quatre coins de la planète en passant par la gestion de potentiels conflits géopolitiques provenant de régions ou pays dépendant presque entièrement de l’extraction et de la production de pétrole… Et que faire avec la réalité des pays en voie de développement?
Bien entendu, du moins je l’espère fortement, le gouvernement, ainsi que leurs multiples experts et conseillers ont analysé ces différents enjeux et en sont venus à la conclusion que le tout était bien réfléchi et calculé. Pour ma part, je ne peux pas vous cacher que le fait qu’il y ait aussi peu de marge de manœuvre entre l’opportunité et le risque me donne quelques sueurs froides.
Malgré ces questionnements, je reconnais qu’il est essentiel d’agir aujourd’hui pour être idéalement positionné demain. Cette industrie s’inscrit en tout point dans l’inévitable transition verte, où le Québec a tout pour réussir et devenir un joueur incontournable. Et ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de prendre des décisions qui vont avoir autant d’influence et d’impact pour les prochaines générations!
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