GRANDS DE LA COMPTABILITÉ. Si vous trouvez difficile de mettre la main sur des experts comptables, soyez avertis : l’Ordre des CPA observe qu’on se rapproche dangereusement du point de rupture, soit du moment où il y aura plus de professionnels qui quitteront la profession qui y entreront.
L’implantation des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) et les nouvelles exigences des Commissions des normes des valeurs mobilières ne risquent pas de faire dérougir le besoin pour ces professionnels du développement des affaires en entreprise, prévient la présidente et cheffe de la direction de l’Ordre, Geneviève Mottard.
Les employeurs ne laissent aucune pierre non retournée : recrutement international même pour des postes d’entrée, campagne de séduction auprès des jeunes, transformation de l’expérience employé, tous les moyens sont bons pour se démarquer dans ce marché où la relève se fait rare.
Un lustre difficile à redonner
Le défi est double pour la profession, constate Geneviève Mottard : non seulement la courbe démographique joue en sa défaveur, mais la comptabilité manque de lustre aux yeux de la relève. Difficile de se distancer du portrait peu reluisant et un peu ennuyeux que fait circuler la culture populaire.
De plus, « l’arrivée de l’intelligence artificielle génère des inquiétudes ; les candidats se demandent si la profession sera encore pertinente », ajoute-t-elle.
Pour tenter d’y voir plus clair, l’Ordre a d’ailleurs entamé des démarches avec HEC Montréal afin de livrer dans les prochains mois un livre blanc sur la pénurie de main-d’œuvre qui affecte son secteur.
L’organisme ne reste pas pour autant les bras croisés, prenant depuis déjà quelques années à bras le corps ce défi d’attractivité en cumulant les initiatives pour augmenter le nombre d’inscriptions dans les programmes d’études. Dans sa plus récente campagne publicitaire, « Mêle-toi de tes affaires », elle a même donné un coup de pouce aux cabinets comptables afin de les rendre plus alléchants.
Ceux-ci ont plus de difficulté à dénicher des recrues que dans le passé confirme David Dion, fondateur de Recrutement Précision, une agence spécialisée dans le domaine de la comptabilité et de la fiscalité.
« Ils ont des charges de travail irrégulières dans l’année. Longtemps, ç’a été un défi de trouver l’équilibre entre avoir suffisamment de ressources pour répondre à la forte demande, sans qu’elles soient trop nombreuses dans les périodes creuses », indique-t-il.
La relève semble aussi moins appâtée par la « comptabilité publique », remarque Geneviève Mottard. La COVID-19 et son lot de subventions qui ont suivi ont tout particulièrement augmenté leur charge de travail.
Pour tenter d’attirer les étudiants dans ses rangs, Raymond Chabot Grant Thornton s’immisce tôt dans leur cursus scolaire afin de créer un lien de confiance et de rendre la profession séduisante à leurs yeux, précise Julie Villeneuve, gestionnaire de l’équipe Acquisition de talents et de Recrutement campus.
Ce n’est toutefois pas gagné d’avance : les étudiants n’étant plus contraints de faire leur stage dans des cabinets comptables, Julie Villeneuve et son équipe doivent redoubler d’efforts pour se démarquer de leurs pairs, mais aussi du secteur privé.
En plus d’avoir revu notamment sa marque employeur et ses conditions de travail, Raymond Chabot Grant Thornton assure sa visibilité en octroyant différentes bourses et en chapeautant des événements sur les campus.
Le cabinet, qui trône au sommet du palmarès des Grands de la comptabilité de Les Affaires, s’engage même à offrir des stages à certains candidats jusqu’à deux ans avant l’arrivée de la personne dans l’équipe, indique l’experte du recrutement.
Après leur passage dans l’organisation, ces étudiants deviennent d’excellents ambassadeurs auprès de leurs camarades de classe. « C’est vraiment porteur et ça favorise l’attraction », confirme Julie Villeneuve.
Repenser les horaires de travail
Nombreux sont les cabinets comptables qui ont entamé un chantier pour moderniser l’expérience employé ces dernières années, confirment les experts consultés.
Toutefois, constate David Dion, toutes n’atteignent pas un niveau de maturité similaire à ce propos.
Ce n’est pas par mauvaise foi : c’est un travail dont on collecte les fruits à long terme, souligne-t-il.
En plus de remettre un salaire compétitif, l’employeur devra offrir des horaires flexibles s’il espère séduire des travailleurs d’expérience.
Les semaines de quatre jours lors de périodes creuses sont aussi plus courantes, rapporte Véronique Beaulieu, directrice de comptes principale à Recrutement Précision.
« Le volume de travail attendu, autant durant la saison forte que dans le reste de l’année, la structure de rémunération […], les avantages sociaux et la fameuse flexibilité quant au télétravail » sont autant de facteurs qui peuvent convaincre les candidats à plier bagage, ajoute par écrit son collègue Tristan Plourde.
Tout comme avec les étudiants, Raymond Chabot Grant Thornton mise sur le réseau de leurs employés pour dénicher les perles rares d’expérience. « La grande majorité du temps c’est un succès, confie Julie Villeneuve. Ils ne recommanderaient pas la personne s’il y avait peu de chance que ça réussisse. »
Son équipe adapte aussi sa démarche de recrutement et de rayonnement selon le milieu. « On avait fait un fort de glace par exemple, au Saguenay, l’an dernier, et un garden party à Sherbrooke. »
Si sa stratégie d’embauche fonctionne, tandis que son taux de fidélisation atteint 88 %, l’experte ne se repose pas pour autant sur ses lauriers, demeurant toujours à l’affût des besoins du marché de candidats.
Aujourd’hui, ça semble passer par un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle, tout un défi pour une profession dont l’horaire est la plupart du temps dicté par des échéanciers imposés par l’État, surtout en cabinet, rappelle Geneviève Mottard : « On ne peut pas complètement dénaturer ce travail. La nouvelle génération a des valeurs qui y collent moins. »