EXPERT INVITÉ. Il y a de nombreux sujets tabous au Québec dont on ose à peine parler, et le secteur de l’électricité n’échappe pas à cette logique. Je parle bien entendu de l’interfinancement, un sujet tabou sur lequel nous devons à tout prix avoir néanmoins un débat de société par souci d’équité entre les clients d’Hydro-Québec.
Le 22 janvier dernier, dans le cadre de ses activités de distribution d’électricité, la société d’État a déposé à la Régie de l’énergie ses commentaires sur l’indexation des tarifs pour le 1er avril 2024.
On y constate, comme promis par le gouvernement, que les clients résidentiels voient leur hausse plafonner à 3 %.
Les clients industriels auraient une hausse de 3,3 %, tandis que les clients commerciaux, eux, verraient leurs tarifs augmenter de 5,1 %. Le principal groupe de clients dans cette catégorie est celui qui souscrivent au tarif M.
Les clients du tarif M sont le deuxième groupe de clients en importance des ventes, après les clients résidentiels au tarif D.
Ce sont près de 32 000 PME, institutions (par exemple les hôpitaux) ou propriétaires de gros bâtiments.
En 2022, Hydro-Québec Distribution (HQD) leur a vendu 32 TWh d'énergie pour un coût moyen de 8,50 ¢/kWh, alors que les 3,9 millions clients résidentiels au tarif D ont consommé 65 TWh (pour un coût moyen de 8,48 ¢/kWh).
Attention à l'apparence d'égalité
Le coût est équivalent, soit autour de 8,5 ¢/kWh. Cela parait équitable. Mais la réalité de l’interfinancement est camouflée.
Derrière cette égalité apparente se cache en fait un fossé de 3 ¢/kWh.
Selon les calculs d’HQD, les clients résidentiels induisent un coût moyen de 9,9 ¢/kWh, alors que les clients commerciaux au tarif M coûtent en moyenne 6,4 ¢/kWh à HQD pour leur service.
Si chaque groupe de consommateurs payait l’entièreté des frais qu’il entraîne à HQD, il y aurait donc plus de 3 ¢/kWh d’écart entre les tarifs, et non le même prix moyen.
La justification de l’interfinancement repose sur un «pacte social», jamais vraiment explicité, qui transfert une partie de la facture aux entreprises afin de permettre aux résidents québécois d’avoir accès à de l’électricité à moindre coût.
Lorsque le Québec était encore peu développé, cette politique sociale avait du sens. Le revenu médian des ménages québécois a cependant crû de 38 % en 25 ans.
En dollars constants de 2021, il est passé de 42 300$, en 1996. à 58 300$, en 2021.
Peut-on encore justifier la subvention à tous les Québécois sur une base sociale?
Est-ce raisonnable, par exemple, que les ménages qui gagnent plus de 150 000$ par an (13% des ménages) et consomment plus de 25 000 kWh par année soient subventionnés par les PME du Québec ?
Écrivez-moi pour m’informer du fondement social d’une telle politique.
Je n’ai par ailleurs aucun problème à ce qu’on protège les 30 % des ménages les moins nantis (revenus de moins de 40 000$/an), qui ne consomment en moyenne que 13 000 kWh chacun.
L'inéquité de traitement va s'accentuer
Ce problème de l’interfinancement va malheureusement s’accentuer gravement dans les années à venir.
Le plan d’action d’Hydro-Québec prévoit des investissements de l’ordre de 15 milliards par année pour les 10 prochaines années.
Ils devront être payés par les consommateurs.
Si on répartit la facture d’un de ces investissements de 15 milliards sur les ventes totales de HQD (environ 180 TWh), cela revient à 0,5 ¢/kWh (horizon de 50 ans, taux de 6 %).
Comme le plan est de répéter ces investissements tous les ans pendant 10 ans, on ajoutera 0,5 ¢/kWh tous les ans (ou un peu moins parce que la consommation va augmenter, et qu’on répartira sur un plus gros volume).
Un demi-cent par kWh, sur le coût moyen actuel de 8,48 ¢/kWh des clients résidentiels, ce serait une augmentation de plus de 6 %... tous les ans, pendant 10 ans.
Si on limite la hausse à 3 % pour les clients résidentiels en raison de notre pacte social, les clients du tarif M vont absorber un choc encore plus grand.
Est-ce tenable de ne pas discuter de ctte problématique, et de faire croire à tout le monde que le plan d'Hydro-Québec est solide?
La transition énergétique est incontournable.
Elle a le potentiel de créer de la richesse pour tous.
Mais la transparence et l’honnêteté dans les chiffres doivent prévaloir.
Il faut donc discuter des tarifs et corriger les incohérences qui deviendront de plus en plus difficiles à justifier et à camoufler.