BLOGUE INVITÉ. Presque chaque semaine, des articles font les manchettes concernant les paradis fiscaux et les entreprises ou individus qui y contribuent. On lance des chiffres sur les sommes en impôts non payés, on diabolise la mobilité du capital, et surtout, on utilise sans retenue les amalgames comme arme par excellence dans ce combat contre les paradis fiscaux.
Au diable le pragmatisme, on veut clouer au sol les entreprises canadiennes et les «méchants riches». On ne veut pas réellement comprendre comment «combattre» ce fléau; on veut simplement se battre. C’est politiquement payant, et ça donne une autre raison de justifier les déficits publics. Après tout, si ces riches payaient leur «juste part», il n’y en aurait pas de déficits, non? Les coups d’épée dans l’eau et la soupe populaire aux amalgames ont assez duré.
Un combat contre l’inconnu
Demandez à David Lemieux ou Georges St-Pierre, avant chaque combat, il y a la période d’analyse. On essaie de comprendre l’adversaire, ses forces et faiblesses, ses caractéristiques lui étant propres. Bref, on veut savoir à qui on a affaire.
Avant de se battre contre les paradis fiscaux, il faut aussi bien comprendre ce concept. Contrairement à la perception populaire, ils sont tout à fait légaux et n’impliquent pas que les entités y prenant part soient des criminels. Un paradis fiscal est tout simplement un État — ou une région — ayant décidé de réduire ses taux d’imposition pour attirer les investissements privés, qu’ils proviennent d’entreprises ou d’individus.
Dans le monde globalisé actuel, les États se livrent au jeu de la concurrence sur plusieurs fronts. Ils se différencient parfois par la réglementation ou les taux d’imposition, d’autres fois par la qualité des services publics et le filet social offert. Dans tous les cas, si le choix est d’attirer les investissements en devenant un «paradis fiscal», cela est tout à fait légal et ne va à l’encontre d’aucune réglementation supranationale.
Après tout, souvenons-nous des Panama et Paradise papers. Bien qu’il y ait eu un scandale associé à ceux-ci, plusieurs noms figurant sur ces listes avaient agi de façon parfaitement légale. On peut évidemment en débattre sur l’aspect moral, mais ceci ne constitue pas l’objectif de ma chronique.
Là où le bât blesse et qu’on y constate généralement l’illégalité, c’est dans la façon où certains individus et entreprises envoient leur argent dans les paradis fiscaux — lire ici la différence entre évitement et évasion fiscale. Détenir un compte bancaire offshore est légal seulement si tout est bien documenté et que les autorités fiscales du Canada sont tenues au courant des sommes envoyées. Cacher au fisc l’argent envoyé à l’étranger est donc le comportement punissable, et celui qui nuit économiquement aux intérêts canadiens. Il apparaît ainsi clair que ce ne sont pas les paradis fiscaux qu’il faut combattre, mais bien la décision d’envoyer de l’argent illégalement à l’étranger — et aussi viser à minimiser le déplacement légal de capital à l’extérieur du pays d’une manière économiquement intelligente.
Une carotte avec ça?
Trop souvent, les solutions proposées par plusieurs groupes et partis politiques sont basées sur la coercition. On veut forcer les entreprises et individus canadiens à conserver leur capital au pays, sans prendre en compte la réalité parfois difficile à avouer: les entités les plus mobiles sont celles ayant un haut niveau de capital accumulé. Autrement dit, peu importe les lois en place, ceux ayant accès aux meilleurs fiscalistes et pouvant développer les stratagèmes les plus sophistiqués sont les gens et entreprises qui ont les moyens de leurs ambitions, et ceux qui réussiront toujours à contourner les mesures en place.
Plutôt que d’utiliser le bâton et de frapper dans le vide, pourquoi ne pas y aller avec la carotte en incitant ces «riches» à demeurer au pays? Après tout, il ne faut pas oublier que le 1% des plus riches au Québec paient près de 20% des impôts perçus par notre gouvernement. Ils sont donc les petits pains chauds que les pays tentent de s’arracher, et avec raison. Outre les montants payés en impôts, les entrepreneurs (souvent parmi les individus les plus fortunés) créent des emplois, sont le moteur de l’innovation et attirent les investissements étrangers. Les forcer à choisir le Québec et le Canada ne mène à rien, et est généralement inefficace.
Si les cadres réglementaire et fiscal au pays sont accueillants et favorisent le développement des affaires, les détenteurs de capital seront moins incités à le déplacer ailleurs. Il s’agit de la façon la moins coûteuse économiquement de minimiser l’exode de capital, et même d’attirer de nouveaux investissements au pays.
D’ailleurs, il ne faut pas penser que d’offrir de meilleures conditions fiscales rime avec moins de services publics. En conservant davantage de capital au pays et en attirant de nouvelles entreprises, on crée de la richesse et on encourage les investissements locaux. Sans richesse, on ne redistribue rien et on ne peut rien se payer de manière durable. Le but du jeu est donc de faire croître la taille de la tarte pour que chacun ait une plus grande pointe.
Notre combat collectif devrait être celui de favoriser l’attraction de nouveau capital, de viser à le conserver au pays en offrant des conditions avantageuses, et de bien choisir les modèles de redistribution de la richesse pour que chacun et chacune puisse s’épanouir.