GESTION ALTERNATIVE. L'une des premières choses que les étudiants en première année de finance à l’université apprennent est que la valeur d’un actif est égale à la valeur présente des flux monétaires futurs.
En d’autres mots, il est possible de calculer précisément cette valeur si les variables de l’équation sont connues et stables, comme pour les obligations à court terme, par exemple. En effet, il y a peu de chance, sur une courte période, que les taux d’intérêt ou la possibilité de défaut changent de façon substantielle.
Cela veut également dire qu’il est possible, pour un investisseur, d’ajouter de la valeur à son portefeuille en prédisant avec flair les mouvements futurs de ces flux monétaires ou des taux d’intérêt. C’est ce que font les gestionnaires de portefeuille traditionnels. Ils essaient de découvrir quelles entreprises auront le plus de succès et retourneront éventuellement à leurs actionnaires plus de liquidités que prévu, par exemple en versant des dividendes ou en procédant à des rachats d’actions.
Cette approche méthodologique est très cartésienne, compréhensible et donc assez uniforme chez les professionnels de la finance. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’on change la donne, qu’on sort d’une approche financière traditionnelle et que les actifs à évaluer n’ont plus de flux monétaires? Comme une oeuvre de Cézanne ou de Gauguin? Comme un Château Petrus 1961 ou un Château d’Yquem 1811 ? Comme un lingot d’or? Comme le franc suisse ou le yen japonais? Comme le bitcoin?
Tous ces actifs ont évidemment une valeur non négligeable et cette dernière tend à fluctuer fortement avec les années. Des milliers de professionnels sur la planète, servant principalement une clientèle fortunée, se spécialisent dans ces marchés alternatifs qui peuvent être faciles ou difficiles d’accès.
Malheureusement pour l’investisseur moyen, puisque ces catégories d’actifs n’entrent pas dans le carcan de la finance traditionnelle, elles seront rapidement exclues des portefeuilles qui seront construits par leur conseiller financier. Bien souvent, ce dernier n’a pas les outils pour les évaluer ou il ne les comprend tout simplement pas. Non seulement ces actifs seront bannis des portefeuilles, ils seront également vilipendés et attaqués comme spéculatifs ou sans valeur.
Le cas du bitcoin
Prenons le cas du bitcoin, qui est présentement la plus importante cryptomonnaie en capitalisation et en valeur nominale. Développée en 2009 par un individu ou une équipe sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, la cryptomonnaie solutionne les deux grands problèmes qui retardaient jusqu’à ce moment-là la création d’une monnaie
purement électronique : comment éviter qu’une unité ne soit dépensée en double et comment éviter de devoir compter sur une tierce partie (comme une banque centrale) pour superviser les transactions ? La clé pour y arriver était la technologie de la chaîne de blocs.
Mais nul besoin d’être un mathématicien d’envergure pour comprendre certaines caractéristiques du bitcoin:
- Cette monnaie est totalement décentralisée et elle n’est pas émise par une autorité centrale;
- Les transferts sont pratiquement instantanés et les frais de transactions sont minimes;
- Toutes les transactions sont entièrement publiques et facilement repérables;
- Les transactions sont partiellement anonymes par l’utilisation d’une adresse cryptographique plutôt que par une identité propre.
De plus, avec le temps et son utilisation, la communauté s’est rendu compte que le bitcoin pouvait en fait agir comme « or numérique », notamment grâce au fait qu’il possède la majorité des particularités de l’or sans ses inconvénients majeurs, comme la divisibilité et le transport.
Évidemment, plusieurs ont flairé la bonne affaire, et le cours du bitcoin s’est envolé, passant de quelques sous à son lancement à plus de 50 000 $ US dans les derniers mois. Est-il trop tard pour y investir ? Tous les gens que je connais pensaient que c’était le cas lors de leur premier achat de bitcoins.
Attention, cependant! Je ne prédis pas ici une hausse ou une baisse vertigineuse du prix du bitcoin au cours des prochains mois ou prochaines années. La leçon à retenir plutôt est que le conseiller ou banquier traditionnel n’a pas les outils nécessaires et n’est pas formé pour évaluer correctement les actifs qui ne répondent pas au modèle classique lié aux flux monétaires.
A mon avis, il existe deux façons d’évaluer le prix du bitcoin. Une qui est basée sur l’offre, et l’autre, sur la demande. Celle de l’offre repose sur le coût, pour un « mineur », de déchiffrer un bloc. Évidemment, ce coût devient à long terme un prix plancher. Pour la demande, il faut tout simplement tenter d’évaluer la tendance d’adoption du bitcoin dans le portefeuille des investisseurs. Puisqu’on connaît le nombre de bitcoins en circulation en tout temps, si la demande est supérieure à l’offre, le prix devrait continuer d’augmenter.
Dans le monde de la cryptomonnaie, il est habituellement avantageux de détenir personnellement ses actifs numériques sur des clés non connectées à Internet, comme le Ledger Nano X. Mais il existe aussi d’autres moyens, comme les fonds négociés en Bourse ou un fonds activement géré pour investisseurs accrédités. Quand le canal classique ne fonctionne pas, il ne faut pas hésiter à faire ses devoirs et bousculer le statu quo.
EXPERT INVITÉ
Martin Lalonde MBA, CFA, est président fondateur des Investissements Rivemont, une firme spécialisée en gestion privée traditionnelle et alternative.