BILLET. Si vous deviez nommer une entreprise chef de file dans son secteur, cruciale pour l’économie mondiale et dont les services ont une influence autant sur la plupart des entreprises que chez les consommateurs partout sur la planète, à qui penseriez-vous en premier ? Google, Facebook, Amazon ou un autre géant de la techno, n’est-ce pas ? Bien entendu, vous auriez raison.
Combien de temps mettriez-vous pour citer AP Moller-Maersk, ou Maersk de son petit nom ?
La plupart d’entre nous n’ont même jamais entendu parler de cette entreprise danoise dont les revenus pour le premier trimestre 2021 seulement totalisent 12,4 milliards de dollars et dont la valeur boursière a triplé depuis le début de la pandémie. Pourtant, toutes les six minutes, un des 740 navires Maersk débarque dans un port quelque part dans le monde, déchargeant ses conteneurs remplis de tous ces produits que nous consommons sans modération.
Il faut dire que nous ne pensons pas souvent à la façon dont ces produits arrivent jusqu’à nous. Il nous a toujours semblé naturel qu’ils soient là, à notre disposition, que ce soit en magasin ou à un clic d’être livrés à domicile, au gré de nos envies.
Puis est arrivée la pandémie. Tout à coup, cette machine bien huilée s’est enrayée. C’est comme si on avait brutalement tiré le rideau pour dévoiler sous nos yeux ébahis toute la mécanique complexe qui régit les chaînes logistiques mondiales. Ensuite, lorsqu’un seul porte-conteneur bloqué dans le canal de Suez pendant près d’une semaine a retenu du même coup d’autres navires contenant 26 millions de tonnes de marchandises, nous avons découvert avec effarement l’incroyable fragilité du commerce maritime mondial par lequel transitent la plupart des biens marchands.
Nous avons réalisé l’ignorance bienheureuse dans laquelle nous vivions jusqu’alors. Dans nos sociétés modernes, l’idée même de rareté nous est étrangère ; nous avons davantage de défis de surabondance que de pénurie. Au printemps 2020, les images de milliers de personnes se ruant sur les produits de consommation par peur d’en manquer avaient beau susciter les moqueries, il y avait là quelque chose de vaguement apocalyptique et de profondément dérangeant.
Même si la situation s’est calmée depuis, force est de constater qu’encore aujourd’hui, tout n’est pas réglé. Les problèmes d’approvisionnement restent importants, tout comme les ruptures de stock et les délais de livraison. Heureusement, au Canada, les biens essentiels ne manquent pas. Ce n’est pas le cas ailleurs, notamment en Angleterre, où la crise — accentuée par le Brexit — provoque des pénuries d’aliments de base, comme des œufs ou du lait dans les supermarchés.
Pour les entreprises d’ici, gérer les effets de cette crise de l’approvisionnement est un immense défi, surtout pour les plus petites. C’est peut-être aussi une occasion. Certaines en profitent pour revoir leurs méthodes de fabrication ou changer de fournisseur, se tournant vers des solutions plus locales et répondant ainsi à une demande grandissante des consommateurs. Certes, le prix reste la plupart du temps le facteur d’achat déterminant et l’Asie reste imbattable en la matière, mais cela viendra peut-être à changer si les coûts du transport continuent à exploser, se répercutant sur le prix des biens importés.
Ce virage vers l’approvisionnement local est évidemment une bonne nouvelle pour l’environnement. Un sujet envers lequel l’industrie maritime n’est par ailleurs pas insensible. Lors de la Semaine internationale du transport maritime, qui a réuni, mi-septembre, les géants de l’industrie, le développement durable était au cœur des discussions. Maersk a d’ailleurs déjà baissé de 42 % ses émissions totales en 2020 puis vient tout juste d’annoncer la commande de huit navires au biométhanol afin d’offrir un transport en haute mer neutre en carbone et ainsi mieux répondre aux attentes de ses clients (dont Amazon, Microsoft, Disney ou Unilever) ayant leurs propres objectifs de décarbonisation. C’est un signal fort qu’on peut être à la fois la source du problème et tenter de faire partie de la solution. Nous ne sommes pas encore arrivés à bon port, mais au moins, nous naviguons dans la bonne direction.
Marine Thomas
Rédactrice en chef, Les Affaires
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