EXPERT INVITÉ. Le moratoire sur les évictions est une bonne décision à court terme, mais on doit régler un autre des problèmes qui cause les rénovictions. Tant que les mesures incitatives financières à rénover seront insuffisantes, on aura un parc immobilier avec trop de logements en mauvaises conditions. Et il serait souhaitable à mon avis de permettre des évictions pour des projets qui augmentent significativement l’offre de logements.
Avec de faibles taux d’inoccupation, un locataire évincé peut difficilement se trouver un logement à un prix raisonnable. Je comprends que l’on freine les évictions, tant que la pénurie de logements commence à se résorber.
Les propriétaires n’ont pas tous les mêmes stratégies
CAPREIT, avec ses 64 200 logements, a le plus grand parc immobilier au Canada. CAPREIT n’a jamais fait de rénoviction.
Henry Zavriyev, surnommé le «roi de la rénoviction» à Montréal selon plusieurs médias, possède plus de 1000 logements. Il achète des immeubles avec des logements avec de bas loyers, en mauvais état, prend des mesures plus ou moins éthiques pour que les locataires quittent, rénove les logements et les loue deux fois plus chers.
La majorité des locateurs détiennent un petit nombre de propriétés. Souvent, plusieurs immeubles ont été achetés il y a longtemps. Le «cash flow» est relativement élevé, car le solde hypothécaire est bas et dans plusieurs cas les rénovations sont réduites au strict minimum. Les rénovictions sont rares.
Ne pas freiner les mises en chantier
Les terrains vacants se font de plus en plus rares. Pour construire, il faut souvent démolir des unifamiliales ou de vieux immeubles à revenus qui ont des locataires.
Détruire un vieux duplex pour construire un immeuble avec huit logements est bénéfique pour une municipalité. Au centre-ville de Montréal, il faut selon moi démolir et faire des évictions, afin de construire des tours résidentielles.
Va-t-on bloquer le projet du secteur Bridge-Bonaventure parce qu’il a des petits immeubles avec des locataires?
Freiner des projets qui ajoutent plusieurs logements serait dramatique.
Un moratoire qui ne sera pas levé dans 3 ans
Nous allons être en situation de pénurie de logements pendant encore au moins dix ans. Je vois mal un gouvernement enlever ce moratoire tant que la situation se soit améliorée pour les locataires.
D’où l’importance de s’assurer que l’on ne nuise pas trop à la construction de nouveaux logements.
On devrait peut-être remplacer un jour ce moratoire par l’obligation d’offrir au locataire un logement décent proche de son ancien logement. C’est ce qui se fait en France.
Moins de rénovictions, si c’était plus rentable de rénover
Les rénovictions sont de plus en plus fréquentes. Elles pourraient diminuer, mais pas disparaître. Québec et les municipalités n’ont pas les outils pour bien s’attaquer aux agissements illégaux ou non éthiques d’une minorité de propriétaires.
Le règlement sur la fixation des loyers établit que le rendement consenti sur les travaux majeurs équivaut au rendement sur un certificat de dépôt cinq ans majoré de 1%, ce qui donne en général des périodes de récupération de l'investissement qui dépasse la durée de vie utile des travaux. C'est un non-sens.
Un locataire aimerait bien que sa salle de bain des années 1970 soit remise au goût du jour. Elle est toujours fonctionnelle. La majorité des locateurs vont préférer investir ailleurs, car c’est plus rentable de le faire.
La formule du Tribunal administratif du logement (TAL) incite à rénover seulement quand c’est nécessaire et laisser les logements devenir de plus en plus vétustes. En général, les propriétaires font des rénovations majeures seulement au départ d’un locataire.
Lorsque l’immeuble est vendu. L’acheteur prend une hypothèque avec un solde élevé. Pour rentabiliser, il se doit d'augmenter les revenus substantiellement. Avec des revenus de loyer plus élevés, il pourra refinancer et récupérer son investissement.
Ce que l’on voit apparaître est aussi la passation de l’immeuble à certaines sociétés ou des groupes d’investisseurs qui recherchent ce type de propriétés. Cela déshumanise la relation proprio-locataire et laisse place aux rénovictions.
Ce moratoire est une solution de fortune
Avec plus d’un million de logements, nous sommes la province avec le plus grand nombre de logements locatifs, et de loin. C’est une raison pour laquelle ils sont relativement plus abordables qu'ailleurs. La fameuse loi de l'offre et la demande influence les prix.
Environ 60% des logements locatifs ont été construits avant 1990. Notre parc est plus vieux qu’ailleurs et on doit s’assurer qu’il soit mieux entretenu qu'actuellement.
Un moratoire sur les évictions est une décision populaire qui s’attaque aux symptômes seulement. Bonifier la formule de hausse d’un loyer en cas de rénovations majeures serait mal accueillie par plusieurs, mais règlerait la cause des rénovictions.