ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Ce scénario doit être envisagé: une victoire de la Russie en Ukraine. Car, le cas échéant, cette victoire provoquerait une onde choc politique en Europe et dans le monde, sans parler de ses répercussions économiques.
Ce samedi 24 février marque le deuxième anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine. Or, deux ans plus tard, force est de constater que la Russie de Vladimir Poutine semble bénéficier d’une conjoncture qui lui est plutôt favorable.
Aussi, à moins d’un revirement spectaculaire, on voit mal comment l’armée ukrainienne pourrait reprendre la Crimée et les territoires conquis par la Russie dans l’est du pays. Or, il s’agit des objectifs militaires du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Actuellement, le front est gelé dans l’est de l’Ukraine.
Les deux armées sont face à face, derrière leurs lignes de défense et dans leurs tranchées. Une situation qui rappelle la guerre d’usure entre les Alliés et les Empires centraux durant la Première Guerre mondiale (1914-1918).
Les sanctions économiques sont inefficaces
Les sanctions économiques des Occidentaux qui devaient mettre l’économie russe à genou n’ont pas donné les résultats escomptés, même si elles font mal à plusieurs secteurs en Russie, qui manquent de pièces et de technologies de pointe, par exemple.
En 2023, le PIB russe devrait d’ailleurs progresser de 3%, soit trois fois plus rapidement que l’économie canadienne (1%), selon les plus récentes estimations du Fonds monétaire international (FMI). C’est aussi plus élevé qu’aux États-Unis (2,5%), en France (0,8%) ou en Allemagne (-0,3%).
L'Allemagne pâtit particulièrement depuis qu'elle a perdu son accès au gaz naturel russe bon marché en 2022, car ces approvisionnements lui procuraient une compétitivité économique.
Le pays importe maintenant du gaz ailleurs dans le monde, notamment des États-Unis, mais à des prix beaucoup plus élevés.
Trois autres facteurs jouent aussi à terme en faveur du président russe Vladimir Poutine.
Premièrement, on l’oublie souvent, mais la population de la Russie est trois fois plus importante que celle de l’Ukraine, soit 142 millions contre 43 millions d’habitants. Moscou peut donc puiser dans ce bassin de personnes pour envoyer de nouveaux soldats combattre en Ukraine.
Deuxièmement, les forces vives de l’Ukraine sont en train de s’affaiblir. En février 2022, quand la Russie a envahi son voisin, la moyenne d’âge de l’armée ukrainienne oscillait de 30 à 35 ans, selon certaines estimations.
Aujourd’hui, la moyenne d’âge a grimpé à 43 ans, rapporte la chaîne d’information France 24.
Donald Trump pourrait négocier avec Moscou
Troisièmement, aux États-Unis, l’administration de Joe Biden n’arrive pas à s’entendre avec les républicains au Congrès pour envoyer de nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine. Ces derniers tentent de troquer leur appui à Kyiv pour un renforcement de la sécurité à la frontière mexicaine.
C’est sans parler de l’influence de Donald Trump sur le parti républicain, alors que l’ex-président n’a pas manifesté à ce jour un grand intérêt pour appuyer l’Ukraine afin de l’aider à reconquérir son territoire.
Dans une entrevue accordée en 2023 à la chaîne britannique GB News, il a même déclaré qu’il pourrait mettre fin à la guerre «en 24 heures» s’il était élu en novembre, car il connaît bien Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky.
Le cas échant, cela se traduirait nécessairement par des cessions de territoires ukrainiens à la Russie.
Sur le plan politique, une possible victoire russe créerait beaucoup d’incertitude en Europe, incitant sans doute plusieurs pays en Europe de l’Est à continuer accroître de manière importante leurs dépenses militaires, comme le font déjà la Pologne et les pays baltes.
D’autant plus que la volonté des États-Unis de contenir la Russie dans cette région du monde risque de diminuer si une nouvelle administration Trump prend le pouvoir à Washington, à compter de janvier 2025.
Instabilité en Europe de l’Est
Depuis le début de l’invasion russe, l’Europe de l’Est est devenue une région risquée et instable pour les entreprises étrangères, incluant les sociétés canadiennes.
Et cette situation perdurera, même lorsque la guerre sera terminée, affirmaient plusieurs analystes en février 2023, un an après l’invasion, dont Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la Banque Nationale, en entrevue avec Les Affaires.
Par exemple, de 2017 à 2022, les importations du Canada en provenance de l’Ukraine sont passées de 112 à 271 millions de dollars canadiens, soit une hausse de 142%, selon les données de Statistique Canada.
Or, de janvier à novembre 2023, elles ont reculé de 48% par rapport à la même période en 2022. On peut le comprendre: l’Ukraine est un pays en guerre, et c’est donc plus compliqué, voire impossible, d’acheter des produits dans ce pays.
Cela dit, de janvier à novembre 2023, nos importations ont également diminué en Estonie (-6,2%), en Lituanie (-38,8%) et en Roumanie (-5,2%), trois pays limitrophes de la Russie.
En revanche, nos importations ont légèrement augmenté en Pologne (+4,9%), et de manière substantielle en Lettonie (+66,9%). Cela dit, dans le cas de ce pays balte, une importante importation de grains en 2023 explique en grande partie cette progression.
Bref, on sent bien que c’est très volatile en Europe de l’Est.
Que ferait la Chine advenant une victoire russe?
Une possible victoire de la Russie en Ukraine pourrait aussi entraîner des répercussions politiques et économiques à Taïwan. La Chine veut annexer cet État démocratique, car elle le considère comme une province renégate.
En mars 2021, témoignant devant une commission du Sénat américain, le chef du commandement militaire américain en Indo-Pacifique, l’amiral Philip Davidson, a indiqué que la Chine pourrait envahir Taïwan d’ici six ans (soit d’ici 2027) afin d’atteindre son objectif de supplanter les États-Unis dans l’océan Pacifique.
Il va sans dire qu’une défaite russe en Ukraine et des sanctions économiques efficaces contre la Russie seraient des facteurs qui inciteraient Beijing à y penser deux fois avant d’envahir Taïwan ou d’imposer un blocus maritime autour de l’île.
Mais ce n’est pas ce scénario qui se pointe à l’horizon.
Non seulement la Russie a résisté aux sanctions économiques, mais elle pourrait aussi gagner la guerre en Ukraine.
Le cas échéant, ces deux conditions réunies accroîtraient le risque d’une intervention de la Chine à Taïwan, puisque que le prix politique et économique à payer serait moins élevé que prévu, aux yeux des Chinois.
Or, l’île produit 92% des semi-conducteurs haut de gamme dans le monde, qui sont vitaux dans plusieurs industries dans le monde, comme dans l’automobile et l’électronique, notamment au Canada.
Aussi, une invasion ou un blocus chinois de Taïwan entraînerait des répercussions économiques mondiales.
Certes, les États-Unis et d'autres pays comme le Japon et l'Allemagne ont des projets pour accroître la production de puces électroniques sur leur territoire, notamment avec le géant Taiwan Semiconductor Manufacturing Corporation (TSMC).
Ces futures capacités de production à l'extérieur de Taïwan pourront atténuer ces répercussions, mais elles ne pouront pas les éliminer étant donné la dominance de l'île dans le marché mondial des semi-conducteurs.
L’année 2024 sera déterminante pour la suite des choses en Ukraine.
La réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pourrait changer le cours de la guerre, en ce, en faveur des Russes en imposant un compromis à l’Ukraine.
Du reste, Kyiv pourrait refuser ce compromis et continuer à se battre sans l’appui de Washington, comptant uniquement sur l’aide de pays européens comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne.
L’Ukraine pourrait-elle pour autant espérer reconquérir son territoire, alors que ses forces vives s’épuisent et qu’elle affronte un pays trois fois plus populeux?
Ce serait très difficile, mais pas impossible, si les Européens demeurent unis pour aider les Ukrainiens à long terme, le temps que leurs industries de l'armement atteignent sa vitesse de croisière et que la production d'armes surpasse celle de la Russie.
Après tout, il en va de la stabilité de l'Europe, de l’Asie-Pacifique et de l’économie mondiale.
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