ANALYSE GÉOPOLITIQUE. L’entrée en vigueur d’une loi en Allemagne ce 1er janvier (le Supply Chain Due Diligence Act) transformera en profondeur la chaîne d’approvisionnement des entreprises allemandes. Les sociétés canadiennes qui exportent dans ce pays ont donc tout intérêt à s’y intéresser.
En vertu de cette loi entrée en vigueur il y a deux semaines, les entreprises allemandes doivent désormais s’assurer qu’il n’y a pas de violation des droits de la personne dans leur chaîne d’approvisionnement, mais aussi dans celle de leurs fournisseurs à l’étranger.
En fait, cette législation aura des «ramifications à l’échelle mondiale», affirment des spécialistes interviewés par Supply Management, un magazine publié par le Chartered Institute of Procurement & Supply.
Le parlement fédéral allemand et le Conseil fédéral de l’Allemagne ont respectivement adopté cette législation le 11 juin et le 25 juin 2021, et ce, après de longues négociations.
Les législateurs avaient prévu sa mise en œuvre par étapes 18 mois plus tard, soit à compter du 1er janvier 2023.
Nous y voilà donc.
Concrètement, cette loi fait en sorte que «les entreprises devront adapter et mettre à jour leurs processus de conformité, d’achat et de rédaction de contrats», souligne une analyse du cabinet international d’avocats Taylor Wessing.
Dans la foulée de l’entrée en vigueur de cette loi, des fournisseurs canadiens d’entreprises allemandes pourraient devoir eux-mêmes s’assurer qu’il n’y a pas de violation des droits de la personne dans leur propre chaîne d’approvisionnement, expliquait en décembre 2021 à Les Affaires Yvonne Denz, PDG de la Chambre canadienne allemande de l’industrie et du commerce.
Par exemple, si une entreprise manufacturière canadienne s’approvisionne auprès d’un fournisseur de pièces en Asie qui se trouve dans un pays problématique, elle pourrait devoir rendre des comptes à son donneur d’ordre situé en Allemagne.
La loi allemande s’appliquera en deux phases
La loi s’applique d’abord aux entreprises d’au moins 3 000 salariés qui ont leur siège social, siège administratif ou siège statutaire en Allemagne, ou aux sociétés qui ont une filiale en Allemagne et qui y emploient généralement au moins 3 000 travailleurs.
Dans un an, soit le 1er janvier 2024, la loi s’appliquera ensuite aux entreprises d’au moins 1 000 salariés qui ont leur siège social, siège administratif ou siège statutaire en Allemagne, ou aux sociétés qui ont une succursale en Allemagne et qui y emploient généralement au moins 1 000 salariés.
Concrètement, la loi oblige les entreprises à prendre des «mesures appropriées» pour respecter les droits humains — il y a aussi des clauses pour protéger l’environnement au sein de leur chaîne d’approvisionnement.
L’objectif de la loi est «de prévenir ou de minimiser les risques liés aux droits de la personne ou à l’environnement ou de mettre fin à la violation des obligations liées aux droits de la personne».
Selon le cabinet Taylor Wessing, le Supply Chain Due Diligence Act définit ces risques comme étant en particulier le travail des enfants et l’esclavage, de même que le non-respect des obligations de la protection du travail et de la liberté d’association.
Ces risques incluent également l’inégalité et la retenue d’un salaire adéquat, certaines pollutions environnementales brimant les droits de la personne, ainsi que la privation de terres, la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants.
En Allemagne, c’est le Federal Office for Economic Affairs and Export Control (BAFA) qui devra s’assurer que le Supply Chain Due Diligence Act est appliqué par les entreprises.
Le BAFA peut agir de son propre chef ou à la suite d’une plainte déposée par une tierce partie.
Amendes salées pour les entreprises fautives
Fait notoire, les entreprises allemandes ou les filières d’entreprises étrangères en affaires en Allemagne qui ne respectent pas la loi s’exposent à des mesures très sévères.
Les amendes pour violation des obligations de diligence et de signalement peuvent atteindre jusqu’à 8 millions d’euros (11,4 millions de dollars canadiens) selon la nature et la gravité de l’infraction.
Les sociétés dont les revenus sont supérieurs à 400 millions d’euros (571,4M$ CA) peuvent être condamnées à une amende pouvant aller jusqu’à 2% de leur chiffre d’affaires, si elles ne prennent pas des mesures correctives ou ne mettent pas en œuvre un plan de mesures correctives approprié chez un fournisseur direct.
Dans certains cas, des entreprises peuvent même se voir exclure des marchés publics en Allemagne — les plus importants de l’Union européenne — sur une période pouvant aller jusqu’à trois ans.
On le voit bien, le Supply Chain Due Diligence Act changera en profondeur les chaînes d’approvisionnement des entreprises allemandes et de leurs fournisseurs situés à l’étranger.
Des changements qui représentent un progrès social majeur.
Qui souhaite avoir des intrants entachés de violation des droits de la personne?
Coûts et occasions d’affaires
Certes, les coûts des entreprises allemandes augmenteront sans doute pour se conformer aux nouvelles exigences de cette loi. Certaines devront laisser tomber des fournisseurs situés dans des pays ne respectant pas les droits de la personne.
Des fournisseurs canadiens de donneurs d’ordre allemands pourraient aussi devoir montrer patte blanche.
Leurs coûts pourraient également augmenter.
Mais en même temps, le Supply Chain Due Diligence Act peut aussi représenter de nouvelles occasions d’affaires pour nos entreprises, soulignait à Les Affaires la PDG de la Chambre canadienne allemande de l’industrie et du commerce.
Elle donnait notamment l’exemple du secteur minier.
Les entreprises allemandes qui importent des minerais de pays où les droits de la personne sont bafoués pourraient davantage se tourner vers des minières au Canada pour les approvisionner.
Vous comprenez mieux pourquoi votre organisation à tout intérêt à s’intéresser à cette nouvelle loi allemande?