ANALYSE DU RISQUE - La Grèce et la zone euro s'enfoncent dans une crise qui pourrait pourtant s'estomper si l'Allemagne mettait un peu d'eau dans son vin, affirment des analystes. Comment ? En acceptant que les créanciers annulent une partie de la dette grecque, comme l'Allemagne a pu en bénéficier en 1953, quand la moitié de sa dette a été effacée.
Oui, oui, vous avez bien lu: 50% de la dette allemande a été éliminée (en fait celle de la République fédérale d'Allemagne, RFA, ou l'Allemagne de l'Ouest), incluant celle du secteur privé.
À l'époque, les pays créanciers de la RFA - dont les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la ... Grèce - estimaient que cette annulation était vitale à la reconstruction de l'économie ouest-allemande après la Deuxième Guerre mondiale.
Aujourd'hui, le premier ministre grec Alexis Tsipras demande la même chose à la chancelière allemande Angela Merkel, dont le pays tire les ficelles dans cette crise opposant Athènes à ses créanciers, soit l'Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI).
Ce vendredi, lors d'une allocution télévisée, Alexis Tsipras a réclamé l'annulation de 30% de la dette grecque, assortie d'une période de grâce de 20 ans pour assurer « la viabilité de la dette » de la Grèce.
Même le FMI - qui n'est pas vraiment le temple de la gauche - a déclaré jeudi que le pays a besoin d'une réduction de sa dette pour réussir à se sortir de cette crise et espérer relancer son économie.
Mais à Berlin, on continue de dire « Nein! ».
Une intransigeance de l'Allemagne qui est partagée par plusieurs autres pays européens, dont ceux d'Europe de l'Est, comme la Slovaquie.
Leur argument ? Les Grecs doivent assumer leurs responsabilités, et payer l'argent qu'ils doivent à leurs créanciers.
Question: les Allemands n'étaient-ils pas eux aussi responsables des dettes de guerre qu'ils avaient accumulées, sans parler de la souffrance que l'Allemagne nazie avait imposée à l'Europe ? Pourtant, on a supprimé la moitié de la dette allemande.
Certains pourraient rétorquer que le contexte est fort différent aujourd'hui.
En 1953, la guerre froide battait son plein, et Washington voulait éviter à tout prix que la jeune RFA - créée en 1949 - ne bascule dans la sphère soviétique si son économie n'arrivait pas à redécoller.
À l'époque, les États-Unis ont d'ailleurs dû mettre tout leur poids politique dans la balance pour convaincre les pays européens qu'il fallait alléger la dette de la RFA, malgré les atrocités commises par l'Allemagne nazie.
La Grèce d'aujourd'hui n'a bien entendu rien à voir avec le champ de ruines qu'était l'Allemagne de l'Ouest en 1953.
Ses infrastructures et ses villes ne sont pas détruites.
Mais on doit néanmoins aider la Grèce, dont la dette publique atteint environ 176% de son PIB (ce ratio est de 85% au Canada). Voici pourquoi.
Pourquoi on doit aider la Grèce comme on a aidé l'Allemagne en 1953
Les analystes, les commentateurs et même les économistes sous-estiment systématiquement la tragédie économique que vivent les Grecs depuis six ans.
Selon la Financière Banque Nationale, la crise économique grecque a été d'une ampleur comparable à la dépression subie par l'économie américaine après le krach de 1929.
Depuis 5 ans, le produit intérieur brut (PBI) s'est contracté de 25%, et le taux de chômage chez les jeunes dépasse maintenant les 60%, selon le quotidien britannique The Guardian.
Et qu'ont fait les États-Unis pour relancer leur économie durant la dépression? Ils ont massivement stimulé les investissements publics et privés par le biais de l'interventionnisme de l'État, le New Deal.
L'austérité budgétaire n'était pas à l'ordre du jour, car cela aurait tué dans l'oeuf toute reprise économique aux États-Unis.
C'est pourtant cette médecine de cheval qu'on impose à la Grèce depuis 6 ans, ont dénoncé cette semaine les Nobels d'économie Paul Krugman et Joseph Stiglitz.
S'ils en avaient la possibilité au référendum grec, ce dimanche, les deux économistes ont d'ailleurs indiqué qu'ils voteraient pour le Non.
La victoire du Oui signifie tout simplement la poursuite de l'austérité. La victoire du Non pourrait mener à de nouvelles négociations avec les créanciers de la Grèce, mais elle pourrait aussi aussi mener à une sortie du pays de la zone euro.
Selon les deux économistes, l'austérité imposée à la Grèce par la troïka (UE, BCE, FMI) ne peut qu'enfoncer le pays dans la récession pendant encore plusieurs années.
Paul Krugman affirme même que « le gouvernement grec devrait être prêt, si nécessaire, à abandonner l'euro ».
Le choc serait terrible pour le pays à court terme, s'entendent pour dire les spécialistes.
Mais au moins, la Grèce aurait davantage de contrôle sur son économie et ses dépenses budgétaires. Le pays pourrait aussi relancer ses exportations grâce à la dévaluation. En revanche, le coût des importations bondirait.
Il va sans dire que la sortie de la Grèce de la zone euro créerait de l'incertitude sur les marchés financiers. Se poserait aussi inévitablement la question à savoir si d'autres pays peuvent un jour à leur tour tourner le dos à la monnaie unique.
Selon plusieurs analystes, ce scénario peut être évité si on donne un sérieux coup pouce à la Grèce en annulant une partie de sa dette. Et ce compromis ne peut avoir lieu sans l'aval de Berlin.
Selon plusieurs historiens, le fameux « miracle économique allemand » de l'après-guerre aurait difficilement pu se réaliser sans l'effacement de 50% de la dette de la RFA.
À défaut de provoquer un « miracle économique grec », l'effacement d'une partie de la dette de la Grèce permettrait à ce pays de relancer son économie, et de payer, à terme, le reste de ses dettes.
Plusieurs économistes l'ont compris. Le FMI commence à le comprendre. Reste à voir si les Allemands et la chancelière Angela Merkel le comprendront.