L’expression Initial Coin Offering, ou ICO, est sur toutes les lèvres dans le secteur financier ces jours-ci. La raison est simple: cette méthode nouveau genre de financement par création de monnaies virtuelles a permis de récolter des centaines de millions de dollars dans le monde. Une récolte pas toujours propre, ce qui mène les autorités à vouloir mieux encadrer le phénomène.
Le fait que la valeur totale de la poignée de monnaies virtuelles les plus populaires dépasse aujourd’hui la centaine de milliards de dollars n’est pas étranger à l’engouement suscité par ces «premières émissions de cryptomonnaie», pourrait-on traduire. «Il y a tellement de potentiel à ces monnaies : programmes de fidélité, économie locale, programmes d’affiliation… Même l’argent Canadian Tire qui existe depuis des décennies pourrait en bénéficier», croit Chris Arsenault, associé principal chez iNovia, à Montréal.
Ça fait évidemment saliver les investisseurs férus de technologies émergentes. M. Arsenault compare la situation aux premiers projets de socio-financement, sur des plateformes comme Kickstarter. L’attrait est grand, mais le risque l’est également, avertit-il. «Il y a tellement d’effervescence qu’il y en a qui seront forcément déçus ou qui perdront de l’argent.»
Première émission de monnaie virtuelle
L’émission de monnaie virtuelle est une technologie émergente prometteuse mais risquée. Il s’agit du croisement de deux pratiques financières aux antipodes: le socio-financement et la Bourse. C’est un moyen pour quiconque désire se lancer en affaires d’obtenir du financement d’internautes et d’investisseurs en tous genres, selon un modèle reprenant celui des premiers appels publics à l’épargne qui mènent ensuite à être coté en Bourse. À la différence près que ces émissions ne se retrouvent justement pas en Bourse: les investisseurs reçoivent plutôt une participation dans une monnaie virtuelle qui peut ensuite prendre de la valeur (ou au contraire, en perdre) en fonction de divers facteurs, mais qui n’est encadrée par aucune autorité reconnue.
Cela a donné lieu à des pratiques frauduleuses, comme la publication de fausses informations permettant de gonfler artificiellement la valeur de ces monnaies, après quoi leurs créateurs, souvent anonymes, liquident tout et se sauvent avec l’argent. Cette pratique a un nom: le «pump and dump» (le «gonfle et vend»). Ça a forcé certains pays à réagir. Au début de septembre, la Chine a notamment décidé d’interdire tout financement à partir de monnaie virtuelle.
D’autres pays adoptent une approche plus modérée. La Banque du Canada et la plupart des institutions financières suivent l’émergence des monnaies virtuelles des lignes de côté, mais l’Autorité canadienne des valeurs mobilières et l’Autorité des marchés financiers aimeraient bien encadrer ces nouvelles monnaies. «En ce moment, on peut créer une monnaie virtuelle en une heure. Il y en a aux États-Unis qui ont récolté des millions en quelques minutes à peine! Mais si ça va mal, les investisseurs n’ont aucun recours. Ces monnaies sont décentralisées. Qui poursuivre? Sur quelle jurisprudence? Ce n’est pas évident», explique Patrick Théorêt, directeur financier des sociétés pour l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Au-delà des quelques délinquants qui font la manchette (voir encadré), c’est une nouvelle dont se réjouissent les participants à cette nouvelle forme d’investissement, assure Craig Asano, président de l’Association nationale du sociofinancement du Canada. «Établir des règles claires, réduire la spéculation et combattre le battage superflu aideront à créer un climat de confiance fort bienvenu pour les investisseurs», dit-il.
Un engouement qui passe par un meilleur encadrement
Cet été, l’AMF a donné son aval à Impak Finance, une entreprise montréalaise qui a lancé sa propre monnaie virtuelle, l’Impak Coin. Son objectif d’aider à développer des projets à impacts social, environnemental et durable positifs a convaincu l’organisme de sa bonne volonté. «Notre stratégie de soutenir une économie d’impact est ce qui a fait la différence aux yeux de l’AMF, croit Paul Allard, PDG d’Impak Finance. Les investisseurs pourront décider des projets dans lesquels investir. Nous serons entièrement transparents afin d’être conformes aux règles.»
La stratégie d’Impak Finance a convaincu plus que l’AMF. En moins de six semaines, plus d’un million de dollars d’Impak Coin ont trouvé preneurs, auprès de 1750 investisseurs provenant d’une cinquantaine de pays. Sept de ces pays, dont la France, les Pays-Bas et le Chili, ont aussi approché Impak Finance afin de lancer des projets similaires sur leur territoire.
Cet engouement pour de nouvelles monnaies virtuelles n’est pas nouveau. L’idée remonte à 2013, dans la foulée des déboires du Bitcoin. La création de l’Ethereum a initialement permis de récolter 18 millions de dollars américains. Il n’a fallu que peu de temps avant qu’on réalise que ce modèle pouvait être reproduit à volonté. Selon le site d’information spécialisé Coin Telegraph, l’an dernier, pas moins de 64 monnaies virtuelles ont vu le jour, pour une valeur totale de 103 M$ US, portant le montant total investi dans ces levées de capitaux à environ 150 M$ US, en quatre ans.
Si les promoteurs de ces monnaies virtuelles parviennent à convaincre les autorités du bien-fondé de leurs projets, ce chiffre sera sans doute appelé à grossir substantiellement. Mais rien n’est encore joué.
Gare aux projets délinquants!
Si l’Impak Coin est la première émission de monnaie virtuelle à respecter les règles financières traditionnelles, le PlexCoin, lui, aura été la première à avoir été formellement accusée de «délinquante» par l’AMF, en juillet dernier.
Via le Tribunal administratif des marchés financiers, l’AMF a imposé à PlexCorps et à son principal promoteur, Dominic Lacroix, de cesser toute démarche en lien avec cette monnaie virtuelle au Québec, allant jusqu’à ordonner le blocage de ses sites web pour quiconque ayant une adresse web située dans la province. «Ça avait toutes les apparences d’un projet d’investissement délinquant», résume Partick Théorêt, directeur du financement des sociétés à l’Autorité des marchés financiers. «C’est le seul cas où on a cru bon intervenir.»
Le PlexCoin promettait «une monnaie décentralisée révolutionnaire» au rendement spectaculaire qui transformerait la façon dont on fait des transactions partout sur la planète. L’équipe d’une quarantaine de développeurs derrière ce projet, qui devait être lancé au début du mois d’août, promettait une transparence totale, mais refusait toutefois d’être identifiée.
C’est la deuxième fois que l’AMF épingle M. Lacroix, lui qui a dû payer une amende de 25 000 $ en 2013 après avoir plaidé coupable de représentation illégale et de fausses déclarations auprès d’investisseurs financier.
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