(Photo: 123RF)
EN MANCHETTE. Quand la première vague de COVID-19 a frappé ce printemps, l’entreprise d’Anie Rouleau a continué à fonctionner normalement, car 90 % de ses fournisseurs sont situés dans un rayon de 500 kilomètres autour de Montréal. Cela a permis à The Unscented Company de stabiliser ses approvisionnements et d’augmenter ses ventes.
«Nous n’avons pas eu de rupture de stock et nous n’avons pas manqué une seule commande», dit au téléphone la patronne de la PME montréalaise qui offre une gamme de produits corporels et ménagers sans parfum.
La pandémie a certes fait exploser la demande pour son savon à main en bouteille et en vrac. Par contre, l’entrepreneure souligne que c’est sa chaîne logistique «responsable»qui lui a permis d’être résiliente et de bien se positionner pour l’avenir.
Autre retombée:sa philosophie d’affaires consistant à se soucier de la collectivité (acheter local) et de l’environnement (réduire l’utilisation du plastique avec le vrac) renforce aussi l’ensemble de l’écosystème entrepreneurial, insiste Anie Rouleau. «Je vends mes bouteilles de savon 7,99 $, et j’achète mes bouteilles vides d’un fournisseur de Beloeil à 30 cents l’unité. Ce serait très facile de me les procurer à 15 cents en Chine, mais cela ne serait pas compatible avec mes valeurs.» Renforcer les relations d’affaires La responsabilité sociétale est aussi inscrite dans l’ADN de Cascades, une pionnière dans ce domaine, ce qui se traduit également par la présence de fournisseurs locaux, avec lesquels la multinationale a développé des relations d’affaires étroites.
Cette stratégie l’a aidée à se démarquer de la concurrence lors la première vague, car l’entreprise a pu garantir plus facilement à ses clients leurs approvisionnements, dont le fameux papier de toilette, raconte son PDG Mario Plourde. «Ça nous a aidés à rassurer notre clientèle, car elle craignait d’en manquer», dit-il. Cascades a même donné la consigne à ses usines de livrer directement leurs produits dans les magasins et les épiceries au lieu de passer par un centre de distribution, afin de limiter le risque de rupture de stock temporaire sur les tablettes. «Nos clients se souviennent de ça. Et on n’a pas négocié les prix, car on répondait aux besoins des gens», souligne Mario Plourde. Malgré les bienfaits qu’elle procure, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a aussi des détracteurs. Certains affirment par exemple que la RSE rend les entreprises moins compétitives, car cela rajoute des coûts, surtout si elles s’approvisionnent localement.
Plus rentables
Une méta-analyse de 42 études publiée en mai 2015 par l’Université Zhejiang, en Chine (A Meta-Analytic Review of Corporate Social Responsibility and Corporate Financial Performance:The Moderating Effect of Contextual Factors), confirme toutefois l’«argument selon lequel la RSE améliore la performance financière». Craig Ryan, directeur de l’entrepreneuriat social à la Banque de développement du Canada (BDC), observe pour sa part que les PME responsables s’en sortent mieux actuellement que celles qui ne le sont pas. «C’est ce que je constate sur le terrain», assure le banquier, en indiquant que cette résilience tient à plusieurs facteurs.
Les entreprises responsables retiennent davantage leurs talents et leurs fournisseurs. Puisqu’elles produisent localement, les consommateurs sont aussi plus prompts à acheter leurs produits, surtout depuis le début de la pandémie.
Cette résilience tient aussi à une gouvernance plus diversifiée des entreprises responsables, affirme Geneviève Morin, PDG de Fondaction, un investisseur institutionnel qui utilise la responsabilité comme critère d’investissement. «Elles ont moins d’angles morts et elles sont mieux outillées pour trouver des solutions.»Les entreprises responsables inscrites en Bourse ont tendance à mieux performer à long terme, selon l’analyse ESG Funds on the Move, publiée en septembre par Société générale.
Plus structurées et attrayantes
La responsabilité sociétale force aussi les entreprises à avoir une meilleure planification stratégique à long terme, selon Lucie Bourgeois, présidente d’Umalia, une firme de Laval qui aide les entrepreneurs à avoir plus d’impact sur la société. «Ça devient un outil pour penser à sa business», dit-elle, car la RSE permet de mieux entrevoir les tendances qui peuvent propulser ou asséner un coup fatal à une entreprise.
Cette plus grande perspective est très utile en temps de pandémie, affirme Pascal Lachance, chef de service au développement durable et aux affaires environnementales à Danone Canada. «Les avantages d’une certification nous aident justement à nous structurer lorsque nous sommes confrontés à des périodes plus difficiles», dit-il. Louis Roy, président et chef de la direction d’Optel, spécialisée dans les systèmes de traçabilité pour les chaînes d’approvisionnement, fait remarquer que le fait d’être responsable a permis à son entreprise de décrocher des contrats auprès de grandes multinationales. «Cela nous permet de conclure des relations d’affaires», dit-il. L’entreprise de Québec a par exemple un projet pilote en Asie avec le géant de la consommation de masse Unilever, qui utilise de l’huile de palme dans certains de ses produits. Optel l’aide donc à accroître la productivité des plantations d’où provient cette huile pour que les producteurs locaux n’aient pas intérêt à raser des forêts afin d’y planter des palmiers, détruisant ainsi la biodiversité.
Unilever est une aussi entreprise qui se dit responsable, car elle s’est engagée publiquement «à lutter contre le changement climatique, à protéger et à régénérer la nature, et à préserver les ressources pour les générations futures». Comme la mission d’Optel consiste à rien de moins que «bâtir un monde meilleur», la relation avec Unilever s’est établie plus facilement. Cette relation pourrait d’ailleurs s’accroître si ce projet pilote est concluant. «Sans notre positionnement RSE, nous ne serions pas là en ce moment», souligne d’ailleurs le fondateur de l’entreprise québécoise.