Le ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles estime que l'utilisation de lithium dans les batteries devrait représenter 85% de la consommation vers 2025-2030. (Photo: 123RF)
INDUSTRIE MINIÈRE. Si le métal jaune continue d’avoir la cote au Québec, le lithium fait aussi tourner les têtes. Surnommé l’«or blanc», cet incontournable de la transition énergétique pourrait aussi constituer une occasion de diversification économique pour une région ressource comme l’Abitibi-Témiscamingue, avance le géologue Michel Jébrak.
Fabriquer des composants de batteries électriques au Québec à moyen terme ? «On peut être certains d’avoir une filière lithium d’ici deux ou trois ans», avance ce professeur émérite du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM, qui a publié l’automne dernier l’essai Objectif lithium: Réussir la transition énergétique (éditions MultiMondes).
Dans la course à l’or blanc, le marché était jusqu’à récemment contrôlé par un cercle restreint : la Chine, l’Australie et l’Amérique du Sud — plus précisément le triangle Argentine, Bolivie et Chili. Mais la pandémie, les pénuries, la prise de conscience de la fragilité des chaînes d’approvisionnement et l’accélération de l’électrification changent la donne.
Repli stratégique vers le marché domestique
«Les gens se referment sur leur territoire ; il y a une baisse importante des échanges internationaux», perçoit Michel Jébrak, qui compare la volonté de sortir de la situation quasi monopolistique de la Chine à celle observée en début de pandémie quant aux masques ou aux médicaments de base.
«Les enjeux géopolitiques [du lithium] étaient très forts il y a quatre ou cinq ans. Ils sont en train de se réduire, analyse le professeur aussi associé à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Les Européens ont découvert qu’ils ne produisaient plus d’aspirine. De la même manière, on s’est rendu compte que tout le lithium était traité en Chine. » À son avis, « on a atteint les extrêmes de la mondialisation », considérant qu’«actuellement, on démondialise à tour de bras».
Pour la directrice générale de l’Association de l’exploration minière du Québec, Valérie Fillion, si le Québec souhaite que sa Stratégie de développement de la filière batterie réussisse, en plus d’investir dans les entreprises qui détiennent des actifs en territoire québécois, il faut accélérer les efforts pour la découverte de nouveaux gisements.
«Les projets de lithium sont intéressants, reste à les mettre en valeur, plaide-t-elle. Est-ce qu’on veut pouvoir les transformer ici et développer notre filière intégrée en minéraux critiques et stratégiques ? Si oui, il faut se mettre à l’œuvre ! D’autres juridictions roulent, ce n’est pas gagné !» Elle fait référence au potentiel complémentaire d’autres matériaux répertoriés au Québec, notamment le graphite, à Saint-Michel-des-Saints.
Diversification économique en Abitibi
Les nouveaux matériaux représentent une «occasion extraordinaire» pour le Québec, renchérit Michel Jébrak, qui souligne en ce sens l’engagement continu des gouvernements des dernières années, toutes allégeances confondues.
Il s’agit également d’une chance pour l’Abitibi-Témiscamingue de tirer profit de la valeur ajoutée de la transformation minière. «L’idéal, pour l’Abitibi, c’est de faire l’équivalent de la fonderie Horne pour le lithium, d’être capable d’offrir des premières transformations directement sur place», anticipe-t-il, arguant que même si les usines électrochimiques élisent actuellement domicile sur les rives du Saint-Laurent — notamment à Bécancour, qui souhaite se doter d’une zone d’innovation en transition énergétique —, l’Abitibi jouit d’un avantage comparatif important.
«Il y a à Rouyn-Noranda une production d’acide sulfurique, matériel premier des traitements chimiques, rappelle-t-il. On pourrait très bien développer l’Abitibi de manière plus industrielle en profitant de cette source. » Il estime que « tous les éléments sont en place » pour développer et produire des batteries électriques québécoises. « L’Abitibi sera un des éléments essentiels», conclut le géologue.
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Coup d’œil sur les projets d’extraction et de transformation du lithium québécois
Sayona Québec
Le pôle de l’Abitibi est articulé autour de la mine North American Lithium, située à La Corne et acquise conjointement avec l’américaine Piedmont Lithium. Le concentrateur devrait être remis en service au début de 2023 et il est prévu d’y traiter le minerai des propriétés Authier Lithium (à La Motte) et Tansim (au Témiscamingue). La minière fait cependant face à de l’opposition, notamment du comité de l’Esker, à La Motte, et de la communauté autochtone de Long Point First Nation (Winneway), au Témiscamingue.
Sayona a aussi fait l’acquisition des projets Moblan et Lac-Albert, dans la Baie-James, en septembre 2021.
Nemaska Lithium
La construction d’une usine de traitement du minerai devrait commencer d’ici la fin de l’année à Bécancour, dans le Centre-du-Québec. On souhaite y transformer le minerai de la mine Whabouchi, à la Baie-James, en hydroxyde de lithium.
En mars dernier, deux fabricants de cathodes ont aussi annoncé leur intention de s’établir à Bécancour. Le géant allemand de la chimie BASF «vise à construire une usine de fabrication de matériaux pour les cathodes et le recyclage de batteries » et « General Motors viendra construire une usine de cathode dans la même région», selon Joëlle Noreau, économiste principale chez Desjardins.