Des entreprises pâtissent de la pénurie de conteneurs

Publié le 20/03/2021 à 20:30

Des entreprises pâtissent de la pénurie de conteneurs

Publié le 20/03/2021 à 20:30

La pandémie de COVID-19 a interrompu la chorégraphie du transport de marchandises d'un continent à un autre. (Photo: 123RF)

ANALYSE ÉCONOMIQUE — La pandémie de COVID-19 a déstabilisé les chaînes logistiques mondiales de conteneurs, et plusieurs entreprises québécoises pâtissent d’une pénurie de boîtes métalliques. Elles devront toutefois prendre leur mal en patience, car il n’y a pas vraiment d’alternative à cette crise unique depuis la conteneurisation du commerce international dans les années 1950, disent les spécialistes.

Parlez-en à Alain Létourneau, PDG de Prograin, un exportateur de soya de Saint-Césaire, en Montérégie, qui exporte la production d’agriculteurs québécois en Asie et en Europe, en plus exploiter lui-même trois usines. Actuellement, l’entrepreneur s’arrache les cheveux, car il peine à trouver des conteneurs vides à Montréal ou ailleurs au Canada pour expédier son soya à ses clients asiatiques.

«On a jamais vécu une situation comme ça auparavant. C’est comme si les chaînes d’approvisionnement ont déraillé», raconte l’entrepreneur au bout du fil.

Habituellement, cette multinationale québécoise a besoin de 600 à 800 conteneurs par mois pour livrer ses produits à ses clients. «Or, en ce moment, nous avons seulement accès à 80% de cette capacité», dit Alain Létourneau, en précisant que cela représente environ de 480 à 640 conteneurs par mois.

Il va sans dire que cette situation a un impact majeur sur son entreprise.

L’usine de semence de Prograin à Saint-Césaire fonctionne qu'à 85% de sa capacité. Les coûts de transport ont explosé. Et la société a récemment dû annuler un quart de travail.

Ses clients sont aussi très inquiets, surtout en Asie. L’entreprise y approvisionne notamment Vitasoy, un important holding de Hong Kong qui produit et commercialise plusieurs variétés de boissons à base de soya dans le monde, vendues notamment en Amérique du Nord.

Alain Létourneau admet qu’il n’y a pas d’alternative à son problème.

Prograin ne peut quand même pas expédier son soya par avion en Asie, lance-t-il avec ironie. C’est la raison pour laquelle il croise les doigts pour la situation revienne à la normale le plus vite possible.

Et qu’il n’y ait «absolument pas de grève» au port de Montréal, fait remarquer Alain Létourneau, parce qu'un autre conflit de travail lui compliquerait davantage la vie — en août 2020, le port a été paralysé par une grève qui a duré une dizaine de jours.

Le 12 mars, l'Association des employeurs maritimes (AEM) a présenté une offre finale au Syndicat des débardeurs. Les tensions sont tendues entre les deux parties, car l'AEM a porté plainte le 1er février contre le syndicat devant Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) pour négociation de mauvaise foi.

Le CCRI a rejeté cette semaine la plainte de la partie patronale, mais en tapant sur les doigts du syndicat, rapporte La Presse

 

Prograin peine à trouver des conteneurs vides à Montréal ou ailleurs en Amérique du Nord. (Photo: Prograin)

 

Cette pénurie mondiale de conteneurs affecte de nombreuses entreprises dans le monde, selon le New York Times.

Partout sur la planète, la pandémie a grandement perturbé le commerce international, faisant grimper le coût du transport des marchandises et ajoutant un nouveau défi à la reprise économique mondiale.

Pourquoi? Parce que le coronavirus a interrompu la chorégraphie du transport de marchandises d'un continent à un autre, quand les gouvernements, les entreprises et les consommateurs se sont précipités pour acheter des équipements et des produits médicaux, sans parler de biens liés au télétravail (meubles, ordinateurs, etc.).

Ainsi, les chaînes logistiques mondiales qui avaient mis des décennies à se mettre en place — en tenant compte de la demande mondiale, des chaînes de production internationales et de la saisonnalité — se sont désynchronisées.

Bref, des conteneurs se retrouvent souvent en mauvaise quantité, au mauvais endroit, au mauvais moment.

C’est ce qu’on appelle une tempête parfaite en gestion des opérations.

Stéphane Alary, directeur général chez Eurofret Canada, un transitaire international et un courtier en douane de Blainville (sur la Rive-Nord de Montréal), sent aussi l’onde de choc de cette pénurie de conteneurs.

Son entreprise dessert 1625 importateurs et exportateurs, formés à 95% de PME québécoises. L’entrepreneur affirme que la production de plusieurs de ses clients est affectée par cette crise.

«On a un client québécois qui importe des composants d’Asie. Or, en raison de cette pénurie de conteneurs, cette entreprise n’est pas capable de terminer l'assemblable d'un produit à son usine pour le vendre au Canada et aux États-Unis», dit-il.

Stéphane Alary affirme que cette pénurie de conteneurs risque aussi d’être problématique pour importer à temps des produits saisonniers finis pour l’été qui approche au Québec, et ce, des BBQ aux accessoires de piscines.

 

Régionalisons les chaînes logistiques

Christian Sivière, président de Solimpex, une firme montréalaise de consultants et de formation en commerce international, espère que cette crise provoquera une réflexion en profondeur sur la configuration des chaînes logistiques des entreprises québécoises, car cette crise prendra un certain temps à se résorber.

Au niveau des approvisionnements, il estime qu’il faut régionaliser davantage les réseaux des fournisseurs, pour qu’ils soient davantage situés en Amérique du Nord, réduisant ainsi en partie la dépendance aux conteneurs naviguant sur les océans.

«La relocalisation de la production fait partie de la solution, mais personne ou presque n’a déployé cette politique», déplore ce spécialiste.

Au niveau de la commercialisation, les entreprises peuvent aussi diversifier leurs marchés géographiques, et ce, afin de limiter le risque de pâtir d’une pénurie de conteneurs dans une route commerciale majeure, par exemple entre la côte Ouest de l’Amérique du Nord et les grands ports chinois.

Alain Létourneau de Prograin confie qu’il déploiera cette stratégie l’année prochaine, en réservant certains volumes (de la récolte de soya de 2021) pour le marché européen, où la pénurie de conteneurs est moins prononcée.

En 2020, les Chinois ont acheté la totalité des volumes de Prograin, de sorte que les expéditions de l’entreprise de Saint-Césaire sont uniquement concentrées dans l’épicentre de cette crise de conteneurs, soit l'océan Pacifique.

Et de cette présente crise de la mondialisation.

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.