Il n’y a pas uniquement de petites organisations qui sont gérées par des investisseurs-opérateurs, rappelle Rhéal Desjardins. Ben & Jerry’s (Unilever) en est un exemple. (Photo: Chuttersnap pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. Il est particulièrement important de vous avoir déjà sensibilisés à propos d’un premier attribut de type «soft» associé à ma définition de la productivité, car celui-ci chapeaute les cinq autres que je vais vous présenter dans le prochain billet. Donc, pour débuter, comment distingue-t-on un investisseur-opérateur d’un investisseur-financier?
Comme on dit par chez nous, «pour faire simple», un investisseur-opérateur est passionné par le produit ou encore le service qu’il offre à ses clients. Son objectif consiste à faire tout en son pouvoir pour réaliser le «purpose», soit le but de son organisation, ce «purpose» consistant aussi à perfectionner dans le temps son produit et/ou son service et l’argent qu’il génère n’est qu’une preuve (soit fort importante) que le «purpose», soit le but, se concrétise en modèle d’affaires.
L’investisseur-opérateur, à l’opposé de l’investisseur-financier, ne confond pas but et preuve. Voici des exemples d’investisseurs-opérateurs. C’est un boulanger ayant travaillé de nombreuses années pour un certain nombre de boulangeries et qui démarre, en la finançant, sa propre boulangerie. C’est un passionné de course à pied qui une fois retraité démarre, et donc investit, dans l’organisation d’un marathon annuel. C’est un ergothérapeute qui après avoir travaillé dans le réseau de la santé, démarre et donc investit dans une résidence pour personnes âgées. C’est un analyste-programmeur qui démarre, et donc investit, dans sa propre firme techno.
Les investisseurs-opérateurs sont des passionnés de leur secteur d’activités ainsi qu’animés par un réel désir de satisfaire les clients qui y sont associés. Ils souhaitent évidemment faire de l’argent avec leur modèle d’affaires, mais prioritairement ils ressentent un intérêt particulier, ou même une vocation, pour le «purpose» de leur organisation. Ils travaillent dans un emploi et pour une organisation qu’ils aiment. Ils savent instinctivement que le «purpose» de leur organisation est synchronisé à leur vocation, et que cette dernière est au service d’un client.
Dans ce contexte, la profitabilité du modèle d’affaires devient tout simplement la preuve que leur vocation est utile à quelqu’un d’autre, c’est la preuve que le «purpose» incarne un modèle d’affaires. Je me répète, l’investisseur-opérateur ne confond jamais but et preuve. Lorsqu’il n’y a pas de confusion à ce niveau, une organisation peut réussir à créer une mobilisation sans fin auprès du personnel qui, arrimée à la concordance de vocation, génère à son tour une amélioration sans fin de la productivité ainsi que la croissance à long terme. Je nomme ce type de réactions en chaîne «RH exposant productivité».
Il n’y a pas uniquement de petites organisations qui sont gérées par des investisseurs-opérateurs. Par exemple, Toyota, Apple, 3M, Ben & Jerry’s (Unilever), Fanuc, Costco, tout en étant très grandes, sont des exemples d’organisations publiques que je caractérise comme des investisseurs-opérateurs.
Pour les investisseurs-financiers, c’est autre chose. Leur but premier est de faire de l’argent et augmenter l’avoir des actionnaires. Ils court-circuitent et donc confondent but et preuve. Dans ce contexte, ces derniers sont obsédés par la réduction des coûts (ce qui produit des résultats profitables, mais à court terme) et sont plus ou moins attentifs à l’amélioration sans fin de la productivité, cette dernière approche produisant des résultats plus profitables à long terme.
Les investisseurs-financiers sont nettement moins intéressés à cette dernière perspective et moins intéressés à la sauvegarde du «purpose», pourtant une multitude d’études prouvent la supériorité en termes de profitabilité de l’approche à long terme. Entre autres, les études effectuées par McKinsey (McKinsey Global Institute – 2017), Bain & Company (HBR — 2017), Raynor Muntaz (HBR — 2013) et mes propres expériences depuis trente ans, démontrent combien l’approche consistant à améliorer la productivité est supérieure en termes de profitabilité à long terme comparativement à une approche de réduction de coûts.
Une autre caractéristique de l’investisseur-financier est que sa définition de la productivité se résume à du «hard», croyant que la productivité peut être achetée et ayant un penchant à éliminer toute dépendance à l’égard du «soft».
Aussi, ce type d’investisseur, contrairement aux investisseurs-opérateurs, se retrouve rarement sur le Gemba (l’endroit où se transforme le produit et/ou se crée le service). Cela ne les intéresse tout simplement pas, car préférant gérer le Gemba à distance avec des objectifs associés à des coupures de coûts. Leur absence du Gemba correspond au fait que les investisseurs-financiers savent fort bien qu’en priorisant l’approche des coupures de coûts, cela les rend très impopulaires sur le Gemba. Les investisseurs-financiers confondent but et preuve et aiment créer ou encore transformer un «purpose» en machine à faire de l’argent à court ou à moyen terme.
Laurent Beaudoin de Bombardier, Guy Laliberté du Cirque du Soleil et Serge Arsenault du Marathon de Montréal étaient des investisseurs-opérateurs. Quant à leurs successeurs, je vous laisse juger par vous-même. Au bout du continuum de l’investisseur-financier, il y a l’investisseur-activiste. La suite dans un mois.