Le changement de paradigme est profond et il est partout. En ces temps de grande transformation, les attentes sont plus élevées que jamais envers les entreprises. (Photo: Joel Muniz pour Unsplash)
BILLET. Les premières semaines de la pandémie, chacun a eu peur pour son avenir. Du jour au lendemain, beaucoup de personnes ont perdu leur emploi et se sont inquiétées de savoir comment elles allaient boucler leurs fins de mois. Un violent rappel qu’il est plus facile de basculer dans la précarité qu’on ne le pense. Pour la plupart, la situation s’est stabilisée, mais pour d’autres, cette inquiétude est constante et ne date pas de mars dernier.
Les projecteurs sont enfin braqués sur ce pan de la population plus fragile, sur les inégalités fondamentales de nos structures sociétales actuelles ainsi que sur le racisme systémique subi par certaines minorités. Même si nous vivons tous la même situation, nous ne sommes pas tous égaux face à la crise. Travailler du confort de chez soi est un privilège que de nombreux employés n’ont pas. Rester confiné chez soi ne veut pas dire la même chose quand on est cinq dans un 4 ½ ou deux dans une maison avec un grand terrain. Faire l’école à la maison est aussi plus facile quand chaque membre de la famille a sa propre chambre et un ordinateur personnel.
Toutes ces prises de conscience nous ont sensibilisés à la nécessité de faire notre juste part pour améliorer le quotidien de ceux qui ont moins. Les études le prouvent : il y a eu un « effet pandémie » sur la générosité des Québécois. Trois sur quatre ont fait un don à une ou plusieurs causes sociales dans les six derniers mois de 2020 et 86 % avaient l’intention d’en faire un en 2021, révèle l’Institut Mallet. Une nette augmentation, puisque nous étions seulement 1 sur 2 à donner en 2015.
Un soutien dont les organismes à but non lucratif (OBNL) ont bien besoin, alors qu’ils doivent répondre à une hausse accrue des besoins tout en jonglant avec une baisse des effectifs et des revenus, notamment ceux liés aux événements de collecte de fonds. Près de la moitié des OBNL rapportent une baisse des revenus depuis le début de la pandémie, et les deux tiers sont préoccupés par leur viabilité à long terme, selon l’enquête sectorielle d’Imagine Canada parue en février. Une solution serait-elle l’augmentation de la part minimale des actifs que les fondations privées doivent consacrer à la philanthropie ? En passant celle-ci de 3,5% à 5%, ce serait pas moins de 1,3 milliard de dollars qui serait débloqué, comme l’explique Jean-Paul Gagné dans sa dernière chronique «La philanthropie en arrache, il faut exiger plus des fondations privées».
Face à ce besoin d’aide décuplé des OBNL, les entreprises ont répondu présentes. Celles qui l’ont pu ont même augmenté leur don. Aux États-Unis, ce sont 72 % des entreprises qui ont augmenté leur financement dès les premiers mois de la pandémie (étude « Sonner l’alarme » d’Imagine Canada) ; on peut imaginer que la tendance au Canada est similaire. Surtout, elles ont laissé beaucoup plus de liberté aux organismes pour en disposer là où ils le jugeaient nécessaire. Cette nouvelle façon de procéder, basée sur la confiance plutôt que sur les redditions de compte exhaustives, pourrait être un vrai bouleversement positif pour le secteur, comme en témoigne notre dossier sur la philanthropie.
Vous le savez, à force de me lire, les questions de gestion et de relations humaines me passionnent. C’est pourquoi j’ai été frappée à la lecture de ce dossier par le parallèle avec les dynamiques à l’œuvre dans les entreprises actuellement : des rapports basés sur plus d’autonomie, de communication et de transparence, la fin d’un pouvoir pyramidal et unidirectionnel au profit d’un véritable dialogue, une « vision de compagnonnage » au service d’une cause plus grande que soi.
Le changement de paradigme est profond et il est partout. En ces temps de grande transformation, les attentes sont plus élevées que jamais envers les entreprises. Le temps est révolu où ces dernières pouvaient se contenter d’être des acteurs neutres régis seulement par la recherche du profit. On attend désormais d’elles qu’elles utilisent leur pouvoir d’influence pour le bien commun. Certaines l’ont bien compris et multiplient les initiatives pour prouver qu’elles épousent les valeurs environnementales, sociales et de gouvernance. C’est notamment le cas des cabinets d’avocat, comme vous pourrez le constater dans notre dossier sur les grands du droit.
Cet engagement est fortement attendu puisque 65 % des travailleurs canadiens pensent que les dirigeants d’entreprises doivent intervenir pour s’attaquer aux problèmes de société que le gouvernement néglige et 84 % pensent qu’ils doivent se prononcer sur de grands enjeux sociétaux telles les inégalités ou la diversité, selon le Baromètre de confiance 2021 d’Edelman.
Un bel avenir est promis donc à ces dirigeants engagés dans la collectivité qui oseront participer activement, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur entreprise, à une économie plus juste, égalitaire et inclusive.
Marine Thomas
Rédactrice en chef, Les Affaires
[email protected]
@marinethomas