Selon le Conseil du patronat du Québec, 94% des entreprises estiment avoir des difficultés à embaucher du personnel. (Photo: 123RF)
Dire que nos entreprises manufacturières croyaient avoir vécu l'enfer avec la COVID-19 et que rien n’était comparable… Pourtant, celles-ci ne sont pas au bout de leur peine avec le retour brutal du plein emploi.
Le Québec affiche un taux de chômage de 6,3%, soit le plus faible au pays. Comme ce taux varie d’une région à l’autre, la situation est vécue encore plus durement dans certains coins du Québec.
La crise sanitaire a eu le dos large, mais pas au point d’avoir neutralisé de façon permanente le phénomène de la rareté de la main-d’œuvre.
Avant la pandémie, on avait atteint un plancher historique avec un taux de chômage manufacturier de 3,3 %.
Une analyse récente du Conseil du patronat du Québec nous apprenait que 94% des entreprises estiment avoir des difficultés à embaucher du personnel.
Par ailleurs, l’Institut de la statistique du Québec affirme le taux d’emploi est pratiquement aujourd’hui au même niveau qu’avant la pandémie.
Plus 180 000 postes vacants sont à pourvoir au Québec actuellement.
C’est donc le jour de la marmotte pour un secteur qui compte sur un peu plus de 800 000 emplois directs et indirects et qui génère des revenus de 50 milliards de dollars canadiens, soit 13,5 % du PIB du Québec.
Malheureusement, le secteur de la fabrication — l’épine dorsale de l’économie — a deux boulets aux pieds.
Un très mauvais timing
Tout d’abord, la rareté de main-d'œuvre — «prise 2» — survient à un bien mauvais moment, alors que la reprise économique est beaucoup plus rapide que prévu.
Rappelez-vous le débat sur le type de reprise anticipée, à savoir si elle allait être en U, en V ou W.
Force est de constater que l’on sort de cette crise avec le grand V vertueux, ce qui signifie une reprise rapide et accentuée.
On s’attend même à ce que le rattrapage complet de l’économie soit achevé dès cet été, selon les économistes du Mouvement Desjardins.
Les entreprises canadiennes sont prêtes à investir. Elles ont accumulé un trésor de guerre de 130 G$ en liquidités excédentaires durant la pandémie, estime la Banque CIBC.
De plus, les mesures d’appui gouvernementales sont au rendez-vous.
Or, ces deux conditions gagnantes risquent d’être freinées par la pénurie de main-d’œuvre.
Des régions entières sont aux abois.
Des entreprises en sont rendues à militer contre l’attraction de nouvelles entreprises dans leur région, de peur d’avoir à partager le maigre bassin de main-d’œuvre disponible.
Du jamais vu!
Pour sa part, Alain Poirier, président de Soleno, une PME de la Montérégie qui offre des solutions durables pour la maîtrise de l'eau pluviale, lance un cri du cœur.
Il clame vouloir payer plus d’impôt et remplir les coffres des gouvernements pourvu qu’il ait accès à des travailleurs permanents ou temporaires pour augmenter son chiffre d’affaires.
Des conséquences négatives
Un nouveau vocabulaire a récemment fait son apparition.
On parle maintenant de PIB raté, d’opportunités d’exportation manquées, d’investissements non réalisés, de refus de contrats, d’abandon ou de report de projets ou encore de délocalisation de nouveaux projets vers d’autres régions.
Les régions les moins nanties en main-d’œuvre voient même leur capacité d’attirer des investissements fortement réduite.
Un nouveau vocabulaire a récemment fait son apparition, dont PIB raté et opportunités d’exportation manquées. (Photo: 123RF)
C’est sans parler des entreprises qui reportent leurs projets de croissance et les investissements privés qui les accompagnent.
Rappelons-nous qu’avant la crise, les gouvernements successifs ont souvent décrié la faible propension des chefs d’entreprises à investir.
Nous sommes rendus ailleurs.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la rareté de main-d'œuvre est devenue une obsession nationale, et sans aucun doute l’ennemi du bien.
Des solutions connues, mais qui ne font pas toujours l’unanimité
Les solutions sont connues; là n’est pas le problème.
Le Conseil du patronat nous résumait le tout récemment avec ses 10 solutions à la pénurie de main-d'œuvre. Selon la Fédération des chambres de commerce du Québec, la relance économique repose essentiellement sur la formation, l’automatisation et l’immigration.
Pour autant, deux problématiques sont préoccupantes.
D’une part, les options ne font pas consensus, notamment sur le plan du levier de l’immigration. D’autre part, les options n’ont pas toutes le même impact ou la même temporalité: les entreprises veulent des résultats rapidement, et non pas dans 5 ans.
Le levier de la formation initiale et continue est aussi un enjeu de taille sur un horizon à moyen et à long terme.
Un comité consultatif créé à l’initiative du Cégep de Lévis, formé de dirigeants d’entreprises innovantes et d’acteurs du développement économique de Chaudière-Appalaches, a fait son lit à ce sujet.
Il conclut à un besoin urgent de soutenir les ressources humaines, et ce, pour les aider à développer davantage leurs compétences techniques et surtout non techniques — les soft skills, comme on dit en anglais — afin de réussir la transition numérique.
Je vous rappelle que le secteur manufacturier compte pour 27% du PIB en Chaudière-Appalaches, soit le plus haut taux d’activité manufacturière au Québec, tout en étant égal à celui du poids de l’industrie en Chine!
L’immigration, une véritable pomme de discorde
Un grand nombre de dirigeants d’entreprises voient dans l’immigration un remède miracle, du moins à court terme. Aussi, c’est la raison pour laquelle certains avancent que le gouvernement risque de stopper l’élan de la reprise économique avec sa position ferme sur les seuils d’immigration.
Le CPQ et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain proposent d’ailleurs un seuil de 60 000 travailleurs immigrants comparativement aux 52 000 prévus en 2022.
Sylvain Garneau, le président du Groupe Lacasse, une PME spécialisée dans la conception et la fabrication de meubles pour les entreprises et les institutions, pousse la réflexion un peu plus loin.
Il propose de régionaliser l’immigration étant donné que les besoins ne sont pas les mêmes d’une région administrative à l’autre.
Chose est certaine, la pénurie de main-d’œuvre ne peut pas attendre, car le statu quo comporte des risques significatifs en sortie de crise.
Comme le disent si bien nos compatriotes anglophones, le secteur manufacturier fait partie du « too big to fail »!
Nous avons une deuxième crise à gérer.
Et, cette fois-ci, il n’y a pas de vaccin pour nous aider.
Uniquement une bonne dose de gros bon sens.