La démocratie brésilienne à la croisée des chemins


Édition du 15 Février 2023

La démocratie brésilienne à la croisée des chemins


Édition du 15 Février 2023

La démocratie brésilienne devra-t-elle affronter dans les prochaines années d’autres tentatives d’insurrection? (Photo : Mateus Campos Felipe Unsplash)

ZOOM SUR LE MONDE. Un mois après la tentative d’insurrection au Brésil, le gouvernement semble contrôler la situation. La justice poursuit les auteurs de l’assaut, l’armée demeure fidèle et l’économie continue de rouler. Malgré tout, la démocratie demeure fragile, sans parler du mandat du nouveau président Luiz Inácio Lula da Silva qui s’annonce très difficile.

Les entreprises canadiennes qui brassent des affaires au Brésil doivent donc en tenir compte. En effet, même si les risques politiques demeurent faibles pour l’instant, la situation dans le pays peut changer à tout moment.

Aussi, la prudence est de mise pour les entreprises qui exportent, importent ou produisent localement dans ce marché estimé à 217 millions d’habitants en 2022, troisième partenaire commercial du Canada dans les Amériques.

Le dimanche 8 janvier, des milliers de partisans de Jair Bolsonaro — le président sortant d’extrême droite qui n’a pas reconnu la victoire du progressiste Lula à la présidentielle en octobre — ont attaqué la place des Trois Pouvoirs dans la capitale Brasilia, qui abrite le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême.

Les institutions phares de la république étaient vides lors de l’assaut par ces manifestants non armés. En revanche, ils ont saccagé les bâtiments.

Plus que les dégâts matériels, c’est surtout l’attaque frontale contre la démocratie brésilienne qui a ébranlé et choqué la très grande majorité des Brésiliens.

 

93% des Brésiliens condamnent l’attaque

Pas moins de 93% des citoyens ont condamné cette attaque contre la démocratie, selon un sondage «Datafolha», publié le 12 janvier. Seulement 3% des répondants étaient en faveur. Le Brésil a vécu sous une dictature militaire de 1964 à 1985.

Cette tentative d’insurrection rappelle celle survenue à Washington, le 6 janvier 2021.

À l’initiative de Donald Trump, des manifestants ont attaqué le Capitole pour empêcher la certification de la victoire de Joe Biden, en novembre 2020. Séjournant actuellement aux États-Unis, Jair Bolsonaro n’a pas encouragé directement ses partisans à prendre d’assaut la place des Trois Pouvoirs.

Toutefois, il a créé un terreau fertile à cette attaque, soulignent plusieurs analystes.

Il a affirmé que les élections qui l’ont démis de ses fonctions étaient truquées. Le 13 janvier, la Cour suprême du Brésil a d’ailleurs autorisé une enquête sur l’ex-président Bolsonaro à ce sujet.

Même si l’ordre est restauré, le climat politique demeure tendu au Brésil, une société très divisée. Au second tour de l’élection présidentielle, Lula a obtenu 50,9% des voix contre 49,1% pour Bolsonaro.

 

Business as usual pour les entreprises

Malgré tout, le risque politique de faire des affaires au Brésil «semble assez limité»pour les entreprises étrangères, affirme en entrevue Chris da Cunha Bueno Garman, directeur général pour les Amériques à Eurasia Group, une firme new-yorkaise spécialisée en risque politique.

Bien qu’il existe un risque latent d’émergence de nouvelles manifestations, ce spécialiste du Brésil estime qu’il est faible.

«Le public a fermement condamné l’invasion des trois branches du gouvernement, la classe politique a défendu Lula et condamné les actes à l’unanimité, et les tribunaux et le gouvernement fédéral prennent des mesures très dures contre les auteurs et ceux qui ont financé les actes.»

En fait, le plus grand risque réside dans le temps, souligne-t-il. «Les mesures sévères pour réprimer le mouvement bolsonariste radical, qui flirtent avec l’affaiblissement de la liberté d’expression individuelle, généreront davantage de désaffection dans certaines parties de l’opposition et approfondiront les degrés de division dans le public.»

Sur le plan opérationnel, il estime toutefois que les effets demeureront très limités sur les entreprises.

 

Les conditions pour un Brésil stable

Reste à voir, maintenant, si la démocratie brésilienne devra affronter dans les prochaines années d’autres tentatives d’insurrection, voire d’un coup d’État en bonne et due forme.

Le Brésil a déclaré son indépendance du Portugal en 1822 et proclamé la République en 1889. Depuis 134 ans, la démocratie brésilienne «a été fragilisée à plusieurs reprises», notamment sous le régime autoritaire de Getúlio Vargas (de 1937 à 1945), rappelle à Les Affaires Anaïs Fléchet, historienne et spécialiste du Brésil à l’Université Paris-Saclay.

Selon elle, plusieurs éléments semblent indiquer que le Brésil peut demeurer un pays stable malgré l’assaut du 8 janvier.

Des émeutiers sont emprisonnés. La justice mène des enquêtes contre ceux qui ont financé et incité à cette violence. Le gouvernement réorganise les forces de sécurité (la police militaire et l’armée), dont «l’inaction durant les événements du 8 janvier»a suscité une forte polémique, souligne l’universitaire.

«À court et à moyen terme, ces éléments favorisent un retour à la stabilité politique du pays», dit-elle. Il y a toutefois des risques d’instabilité à long terme, selon elle.

Le «bolsonarisme»existe toujours, sans parler de la radicalité politique, bien qu’elle soit discréditée depuis la tentative d’insurrection. Le Brésil est aussi l’un des pays les plus inégalitaires du monde.

«Le principal défi de Lula réside sans doute dans sa capacité à restaurer l’idée d’un partage plus équitable des richesses au service d’un pacte démocratique rénové», insiste Anaïs Fléchet.

Autant d’éléments que les entreprises canadiennes actives au Brésil devront surveiller dans les prochains mois et les prochaines années.

Reste à voir, maintenant, si la démocratie brésilienne devra affronter dans les prochaines années d’autres tentatives d’insurrection, voire d’un coup d’État en bonne et due forme.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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