L’intelligence artificielle montréalaise était encore un concept bien abstrait, il y a trois ans, quand Element AI a commencé à empocher le financement qui allait en faire une étoile montante de ce secteur. L’objectif était évidemment de ne pas finir en étoile filante… Et c’est pour ça que la startup du Mile-Ex procède ces jours-ci à une opération de marketing qui vise à faire connaître les produits qu’elle mettra en marché au cours des prochains mois.
«2019 sera une année importante. On a pris trois ans pour fixer nos priorités, et là, on va les exécuter cette année», résume d’entrée de jeu Jean-François Gagné, qui dirige l’entreprise depuis le début.
Pour le prouver, son équipe s’est réunie dans une salle de conférence de ses bureaux de la rue Saint-Urbain, et a présenté à une poignée de journalistes triés sur le volet ses trois premières applications, qui ciblent le monde de l’assurance, la logistique du transport de marchandises et l’analyse d’affaires.
Dire qu’Element AI est partie de loin pour arriver où elle est actuellement est un euphémisme. Ses spécialistes ont recréé à partir de rien des scénarios et des technologies qui auraient aussi bien pu être empruntées à des tiers, pour accélérer son développement. Mais dans une industrie qui repose exclusivement sur les mégadonnées, un tel raccourci comporte sa part de risques.
S’attaquer à la productivité du transport
Surtout que, selon M. Gagné, la réputation de Montréal dans l’IA en est une de fiabilité et de qualité. «Personne ne remet en doute la qualité de ce qui est créé ici», dit-il. La métropole compte sur le plus important pôle de recherche universitaire, partagé entre l’Université de Montréal, McGill et HEC. Ça aide.
Aller défaire cette réputation en commercialisant une technologie bâclée aurait été mal avisé. Et malgré la théorie et les projections optimistes, c’est un défi qui n’est pas encore relevé. Surtout que la première application sur laquelle on jugera de la performance de la start-up montréalaise en est une plutôt ambitieuse : aider le Port de Montréal à mieux anticiper le flux de marchandises qui est déposé par les bateaux sur ses quais, puis chargé sur des camions, afin de désengorger son accès.
Le transport maritime, c’est un mélange de risques et de hasards. Entre les pirates près de Singapour, les baleines du Golfe St-Laurent et la météo incertaine partout sur la planète, pouvoir prédire à quel moment précis les cargos viendront s’amarrer est déjà compliqué. Ajoutez à cela les rails de chemin de fer et la rue Notre-Dame, qui limitent l’accès au port, et vous avez une partie de l’équation expliquant pourquoi les camionneurs ne sont pas toujours au bon endroit, au bon moment.
«Le Port de Montréal, ce sont 2500 camions par jour. Avec les bons algorithmes prédictifs, on espère pouvoir réduire les erreurs de 40 pour cent, et générer des économies de temps importantes. Ça a un effet positif sur les émissions polluantes, sur les coûts liés à l’entreposage, et tout le reste», explique-t-on chez Element AI.
C’est un créneau prometteur : le transport est un secteur qui est soumis à des pressions toujours plus importantes, pour plein de raisons : commerce en ligne, commerce international (ça existe toujours, quoi qu’en dise Donald Trump), changements climatiques (même chose), etc.
L’émergence des robots-assureurs
Probablement que le Port de Montréal n’ira pas mieux du jour au lendemain. L’intelligence artificielle est un terme assez vaste dans lequel ce qui distingue Montréal est la portion algorithmique de l’affaire qu’on appelle l’apprentissage machine. C’est la faculté des systèmes informatiques à s’améliorer d’eux-mêmes à partir de leur propre expérience. Une résolution de problème concluante renforce un comportement, un échec provoque la réaction inverse.
Cette amélioration continue se fait en continu, et devrait améliorer l’efficacité des outils mis à la disposition du port montréalais. Element AI en profitera aussi directement, puisque l’apprentissage fait par ses machines portuaires sera intégré sur-le-champ par ses autres technologies (des «blocs modulaires», qu’on compare à des Lego, à l’interne), et sera ainsi reproduit dans les outils d’autres clients.
Un autre de ces clients (qu’on soupçonne américain) est dans le secteur de l’assurance. Celui-ci veut accélérer le traitement des réclamations d’invalidité en milieu de travail, notamment. C’est un créneau loin d’être harmonisé : chaque entreprise a sa propre façon de signaler et de traiter un cas d’absence au bureau. Les assureurs s’arrachent les cheveux à traiter ces formulaires disparates, qui fournissent des données hétéroclites, mais qui demandent tous un traitement à peu près identique.
Combinant la vision par ordinateur à des outils d’analyse automatisés, Element AI pense pouvoir harmoniser et automatiser en tout ou en partie la prise de décision face à ces réclamations. Elle promet une économie «de 2 pour cent sur le chiffre d’affaires de l’assureur», grâce à des économies de temps et à une productivité accrue. C’est énorme.
On sent aussi que ce n’est que le début : le secteur de l’assurance, le monde bancaire et celui de la finance sont tous liés, et sont tous intrigués par les bénéfices potentiels de l’IA dans leurs opérations courantes. Garantir une efficacité accrue, améliorer les marges de l’entreprise et le faire tout en n’ajoutant pas aux risques liés à la protection des données confidentielles (Element AI n’héberge aucune donnée tierce, autre que les siennes propres) semble une formule prometteuse pour intéresser les géants de ce secteur.
La jeune pousse montréalaise, qui doit rivaliser avec des poids lourds comme Accenture ou IBM, lesquels déposent des demandes de brevets par milliers sur une base annuelle (c’est le cas d’IBM, à tout le moins), doit commencer par faire ses preuves. L’appui de Microsoft est de taille, mais rien ne vaut un succès bien concret. On saura d’ici quelques mois si Element AI a ce qu’il faut pour devenir un joueur sérieux dans ce qu’on peut appeler, au sens très large, les technologies financières et de l’assurance.
Entre cyberguérillas et pénurie de main-d’œuvre...
On estime à 3 millions le nombre de postes vacants dans le seul secteur de la sécurité informatique. C’est donc dire que l’armée devant défendre l’économie mondiale des cyberpirates manque cruellement de personnel… Mais peut-être que l’IA peut aider à faire passer l’infanterie actuelle au grade de généraux, à la tête de cyberdéfenseurs virtuels et robotisés.
Element AI pense que 80% du boulot en sécurité informatique peut être automatisé, et surtout, organisé et présenté de façon à ce qu’un expert en TI puisse se voir proposé un portrait clair d’une menace potentielle, grâce auquel il pourra prendre une décision rapide.
Avec l’explosion d’objets connectés à Internet, c’est un enjeu de taille car ces objets, plutôt banals en apparence, agissent eux aussi comme autant de petits robots qu’un pirate peut mobiliser en exploitant leurs failles de sécurité afin d’attaquer une cible particulière : grande entreprise, institution financière, etc.
Voilà une autre porte d’entrée pour Element AI dans le monde de la grande entreprise. Si on extrapole à partir de ces outils et des autres cités plus haut, on voit aussi se profiler une gamme de technologies qui pourraient servir au plus haut échelon de la gestion de ces entreprises, comme solution d’analyse d’affaires de prochaine génération.
«Ultimement, l’intelligence artificielle sert à ajouter un niveau de prédiction à la mise en contexte d’une entreprise», résume un de ses chercheurs. Cette capacité à prédire les choses est non seulement l’objectif à court terme d’Element AI, c’est aussi là où tout se joue, en ce moment, pour l’industrie relativement émergente de l’intelligence artificielle.
Ces dernières années, c’est l’accès aux données massives qui était la clé. Aujourd’hui, c’est l’interprétation de ces données en une information cohérente permettant d’anticiper la suite.
On a bien hâte de voir ce qui viendra ensuite. Car ça, même Element AI ne peut pas le deviner…
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